Souvenir d’une rencontre fugace

Le 16 0ctobre, Auvergne. 2022

(les journées d’automne sont d’une douceur et d’une beauté incomparable…le réchauffement climatique serait-il un génie bienfaisant?)

Jean 1 : 35-39

Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples; et, ayant regardé Jésus qui passait, il dit: Voilà l’Agneau de Dieu.Les deux disciples l’entendirent prononcer ces paroles, et ils suivirent Jésus. Jésus se retourna, et voyant qu’ils le suivaient, il leur dit: Que cherchez-vous? Ils lui répondirent: Rabbi (ce qui signifie Maître), où demeures-tu? Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent, et ils virent où il demeurait; et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure

De nouveau leurs chemins se croisent

Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples;

Le lendemain, qu’il faudrait plutôt comprendre comme un autre jour et une autre rencontre, il est mentionné particulièrement que Jean était accompagné de deux de ces disciples, un détail qui en dit long sur la popularité de Jean mais aussi son statut : il avait des gens qui l’écoutaient, le respectaient, le suivaient, il avait des « followers » comme sur facebook ou TikTok où je ne sais quelle autre application. L’indication de lieu « encore là » donne aussi l’idée que c’était un lieu public où les gens venaient échanger et écouter ceux qui étaient considérés comme des « maîtres », des rabbis, des connaisseurs de la loi…mais pas un lieu fermé comme une synagogue ou la maison d’un particulier

et, ayant regardé Jésus qui passait, il dit: Voilà l’Agneau de Dieu.

Ils se sont croisés mais ils ne se sont pas adressés la parole, en tout cas Jésus ne s’est pas arrêté pour le saluer… cependant Jean en le voyant lui redonne son nom d’Agneau de Dieu déjà utilisé, sans plus ( j’aime l’interprétation qui dit que c’était plutôt le mot serviteur qu’il faut comprendre, il rend la scène plus plausible) Et cette fois-ci, il se passe quelque chose de nouveau, et d’inattendu après que Jean ait vu Jésus et l’ait nommé « agneau de Dieu » , ses disciples le quittent pour suivre Jésus.

Les deux disciples l’entendirent prononcer ces paroles, et ils suivirent Jésus.

Pourquoi ont-ils suivi Jésus : pour en savoir plus sur qui il était mais avec l’intention de retourner auprès de Jean et de lui raconter ce qu’ils ont découvert ? Et qu’est-ce que Jean a ressenti quand il les a vus partir ? On ne nous donne aucune indication de sa réaction.

En tout cas, on voit que Jésus ne leur a pas demandé de le suivre et ce n’est qu’en se retournant qu’il se rend compte qu’il est suivi…

Jésus se retourna, et voyant qu’ils le suivaient, il leur dit: Que cherchez-vous? Ils lui répondirent: Rabbi (ce qui signifie Maître), où demeures-tu?

Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent, et ils virent où il demeurait; et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure.

La réponse des disciples n’est pas philosofique, elle est pratique : ils ne disent pas qu’ils cherchent la vérité ou qu’ils veulent connaître son identité, mais qu’ils veulent savoir où il habite… comme quand on rencontre quelqu’un d’intéressant et qu’on lui demande son numéro de téléphone ou son adresse mail pour rester en contact. Ils veulent en savoir plus…Je note aussi que l’auteur ne dit pas qu’ils ont définitivement quitté Jean et sont devenus disciples de Jésus mais que ce jour là, ils sont restés avec lui.

S’il n’y a pas d’indication de lieu, il y a une indication de temps ou plus précisément du moment de cette rencontre. La personne qui a transmise cette information, se souvient de quelle heure il était… quand on raconte un souvenir, il y a pour une raison ou une autre des détails dont on se rappelle et on ne sait pas pourquoi…( dans les enquêtes policières, on voit souvent la question de l’heure qui est posée pour déterminer le moment du crime…) . Certains y voient un sens symbolique…pas moi, une indication que ce sont des anciens disciples de Jean Baptiste qui sont à la source de cette information…

* * *

Après un prologue qui nous a éloigné du réel et du quotidien et nous a transporté hors du temps et de l’espace, dans des considérations théologiques et philosophiques, on a cette scène de rencontre fugace entre deux personnes, Jean le Baptiste et Jésus qui dans sa brièveté est d’une précision et d’un réalisme saisissants.

Jean Baptiste est avec ses disciples dans un lieu public (peu importe où) et Jésus passe par là. Quand il le voit, il le désigne comme étant quelqu’un qui est un homme de Dieu mais en utilisant une formule un peu inattendue, (en tout cas dans le texte) « agneau de Dieu ». Rien ne dit que Jésus, lui, ait vu Jean Baptiste mais en tout cas, il ne semble pas s’arrêter jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il y a des hommes qui le suivent… et c’est à ce moment qu’il s’adresse à eux et que ces disciples de Jean ont l’opportunité d’expliquer leur démarche. C’est bien donc du point de vue de ces disciples que cette anecdote nous est racontée. Elle démontre en tout cas une grande indépendance de leur part qui ne voient pas dans leur attachement à Jean, une loyauté qui leur empêcherait d’aller connaître quelqu’un d’autre ( contrairement aux gourous d’aujourd’hui, car en général ce serait un manque à gagner..)

Après cela, Jean Baptiste disparaîtra complètement du radar de cet évangéliste, mais cette anecdote, nous le présente bien réel quand il était, on a envie de dire, encore en activité. Comme toujours on aimerait en savoir plus car il n’en reste pas moins élusif en même temps que fascinant, quelqu’un que j’aimerais avoir connu en chair et en os ( même s’il ne semblait pas être particulièrement le défenseur des femmes… faut dire que quand on sait que sa mort a été causée par l’une d’entre elles ou plutôt deux, devenues les représentantes types des femmes perverses séductrices des faibles hommes…) mais cette courte scène que je peux visualiser me rend cet évangile vivant…. comme un moment furtif du passé conservé tel quel, arrivé jusqu’à nous après deux mille ans.

De quoi me réconcilier avec un texte qui me paraissait trop dogmatique au début…

Ainsi va la vie…

Photo : Éxecution de collaborateurs à la fin de la deuxième guerre mondiale

Le 11 octobre, 2022, Auvergne

En vrac,

Bientôt, je retraverserai l’Atlantique…

Pendant ces mois qui viennent de passer, j’ai lu mais sans m’y attarder les nombreux sujets qui occupent l’actualité et ce n’est pas réjouissant : le même langage outrancier pour parler des polémiques sur l’avortement, les armes à feu, l’immigration etc…mais des polémiques il y en a toujours, ce qui est différent cette fois-ci est que  c’est le socle démocratique de ce pays qui semble être remis en cause et ça c’est vraiment inquiétant… On s’était imaginé après chaque découverte d’escroquerie ou d’abus de pouvoir ou plutôt même de négligence grossière, que Trump serait mis hors d’état de nuire, mais c’est comme ‘hydre de la mythologie grecque’ chaque fois qu’on lui coupe une tête elle repousse. … Qui sera cet Hercule, cet héros qui pourra y mettre fin ? Liz Cheney semble s’y être cassé les dents ? Mais elle n’a peut-être pas dit son dernier mot…

La grandeur et la faiblesse du système démocratique c’est que la majorité fait la loi… et si cette majorité (celle qui est autorisée à voter) veut une autocratie qui impose ses valeurs, qu’est-ce qu’on peut faire ? Et quand ce désir d’autocratie est présenté sous les vêtements de la théocratie, c’est pire encore et c’est surtout ça qui me désole…l’instrumentalisation de la foi chrétienne qui fonctionne à fond…

En réalité cette volonté de la majorité est un peu une illusion car en fait ce sont des groupes de pression minoritaires (bien financés) qui influencent le vote de la majorité : les mouvements de masse sont rarement spontanés et pour qu’ils puissent aboutir, il faut à un moment donné qu’il y ait des liders qui puissent les diriger, les canaliser et les organiser. En tout cas, je me demande si un jour, on verra la naissance d’un troisième parti aux États Unis : difficile dans un pays aussi grand fait de 50 Etats où il faudrait créer des structures qui puissent s’ancrer dans des réalités locales de chacun d’entre eux…

* * *

Évidemment et malheureusement comme prévu, la vengeance du prince humilié ne s’est pas faite attendre : des missiles ont frappé les grandes cités de l’Ukraine… la guerre continue de plus belle..

* * *

Les belles journées d’automne sont une joie et je m’émerveille…et aussi je m’étonne que je n’avais jamais remarqué la beauté de la nature autour de moi, surtout celle du ciel et de la nuit étoilée…Sur quelle planète est-ce que je vivais avant ? Était-ce parce que j’avais le nez sur le guidon, ou que je vivais au milieu des grandes villes, fascinée ( aveuglée?) par les lumières artificielles, les faits et gestes des êtres humains, y compris moi-même… mais aussi parce que j’avais le nez dans les livres ? Maintenant, jour après jour, je remarque que la beauté de la nature est une constante et si elle est éphémère, comme les herbes des champs qui aujourd’hui sont là et demain seront fauchées, elle se renouvelle … elle donne toujours à voir….

* * *

Je dois avouer quand même, que c’est toujours un immense plaisir de lire un texte bien écrit…en quelque langue que ce soit. Un article bien ficelé, bien informé, bien recherché, sans formules emporte-pièce, j’ai envie de dire, écrit en toute humilité, par goût du métier, ( je viens de recevoir le dernier numéro du journal en anglais « the Atlantic »)ç’est un vrai délice que de le lire)

En même temps, m’attend sur mon bureau, un roman que j’appréhende de commencer à lire parce que je sais qu’il va me replonger dans un monde que j’ai quitté et j’ai peur qu’il me fasse revivre un passé révolu. Chaque fois que j’ai dû partir d’un pays, je ne me suis pas autorisée à m’épancher sur le fait que je ne reverrai peut-être plus jamais ces personnes avec lesquelles j’avais tant partagé. L’adage partir c’est mourir un peu est une réalité que j’ai vécu de nombreuses fois et dont j’ai essayé de minimiser l’impact en me concentrant sur le présent…Le roman d’Abdourahman Waberi que j’ai acheté avec enthousisame, Dis moi pour qui j’existe ( parce que je sais qu’il est un bon écrivain) et qui se déroule à Djibouti attendra encore…

* * *

De nouveau la guerre mais ça m’a fait froid dans le dos de voir des soldats ukrainiens faire la chasse aux collaborateurs russes dans les territoires libérés et d’entendre l’homme interrogé se défendre qu’il n’avait pas eu le choix…

Une des phases les plus horribles de la guerre : vengeance du vainqueur…mort au vaincu !

C’est dans des situations comme celle-là que l’exhortation de Jésus de bénir ses ennemis prend tout son sens : seul moyen d’arrêter la spirale de violence…

* * *

Aujourd’hui, mercredi, nouvelle journée, nouvelles joies, nouveaux défis et pour y faire face, me reviennent ces quelques lignes tirées du chant de Felix Sylvain :

« tu es là au coeur de nos vies et c’est toi qui nous fais vivre»

Réveillez-moi après…

Le 7 octobre, 2022, Auvergne

Réveillez-moi quand la guerre est finie…

C’est vraiment cela que je ressens…

Ici, les journées sont magnifiques, l’atmosphère est paisible : quand on pousse le pas de la porte, ni cris, ni appels au secours, une ou deux personnes qui promènent leurs chiens, quelques voitures qui passent et en ce mois d’octobre, le dernier de moissons et de travail aux champs, des tracteurs et quelquefois des gros engins agricoles circulent lentement pour ne pas heurter les murs des maisons car ils ont du mal à passer dans la rue trop étroite…

Il y a certainement des drames qui se jouent dans les maisons voisines et j’en connais quelques uns, mais rien qui ne bouscule ou mette sens dessus-dessous le quotidien du village…

* * *

Les images de la libération des territoires repris par les armées ukrainiennes n’étaient pas réjouissantes : ruines, cadavres… quelques personnes âgées à moitié soulagées à l’idée que les combats puissent cesser… rien de triomphant, pas de liesse des habitants…

Évidemment, je dois l’avouer, je suis contente que les russes se prennent une raclée…mais le prix en est tellement élevé ! Je ne peux pas honnêtement m’en réjouir… Quand on commence à se tirer dessus les cadavres s’accumulent et les cadavres se ressemblent tous  : russes, ukrainiens, combattants, non-combattants, hommes, femmes, enfants, peu importe leurs identités particulières, leurs convictions politiques, leur religion, tout s’efface quand on finit par ne plus rien être d’autre que des corps morts qui ont été bien vivants et ne le seront plus jamais encore…

Et puis les victoires d’un jour sont dangereuses surtout quand elles sont trop vite célébrées : il faut toujours que l’autre prenne sa revanche et que l’on soit Poutine ou un autre, on n’aime pas se faire humilier, il faut que l’on continue à montrer qu’on est le plus fort, alors… une armée en déroute est souvent plus dangereuse qu’une armée triomphante : on se souvient bien de tous ceux qui ont été fusillés, gazés, brûlés vifs dans des hangars ou même dans des églises juste à la fin de la deuxième guerre mondiale, juste au moment où les forces alliées disaient qu’elles étaient en train de gagner…

Un jour ou l’autre, il faudra qu’ils s’assoient à la table des négociations ( à moins de faire sauter la planète)…mais après combien de cadavres ? On fait toujours une estimation des morts car on ne les connaît jamais tous…

* * *

Toi, qui es Dieu, et qui le sait, comment peux-tu nous laisser nous tuer comme cela, pourquoi n’arrêtes-tu pas les carnages… cette liberté que tu nous a donnée pourquoi devient-elle si néfaste, si meurtrière…pourquoi ? Chaque fois qu’on finit par faire la paix, la génération suivante oublie que la défaite que l’on veut venger ou la victoire que l’on continue à célébrer a coûté trop cher…

Ça fait des millénaires qu’on se pose la question, qu’on Te pose la question et la réponse ?… Le fameux Job, on pourrait bien l’appeler notre ancêtre dans le questionnement, contrairement à Abraham qui est notre père dans la foi, a longuement exprimé tout ce que l’on continue à ressentir mais la réponse qu’il a eu, n’en était pas vraiment une… même le cri de Jésus sur la croix avant de mourir, n’a pas reçu de réponse audible…

Il faudra se contenter des bribes de réponse que Tu nous a donnés : que Tu écoutes le cri de ceux qui souffrent, que tu soutiens les efforts des Justes, que tu désavoues les sanguinaires et les arrogants, que les puissants ne règnent pas à jamais, que ça sert à quelque chose de continuer à marcher dans tes voies…pour le reste…il faudra attendre

* * *

Aujourd’hui, je suis loin du front,

(en réalité, loin de tous les fronts dans ce coin de campagne paisible…)

Réveillez-moi quand la guerre sera finie…

Mais quand cette guerre sera finie, il y en aura une autre… et une autre… et une autre…

Je ne peux pas dormir le reste de ma vie…

* * *

Pour l’instant, je suis aux arrières,

à moi d’assurer le ravitaillement,

ou de panser les blessures

de ceux qui sont sur le front ?

mais de les oublier et de dormir en attendant…

Ça je n’en ai pas le droit !

* * *

« veillez et priez »

Rencontre et révélation

le 15 septembre 2022/ 6 octobre 2022

( j’ai délaissé, Jean, Jésus et le Baptiste au bord du chemin… occupations pressentes du présent obligeant …mais m’y revoilà)

Rencontre et révélation

Jean : 1, 29-34

Le lendemain, il vit Jésus venant à lui, et il dit: Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.

C’est celui dont j’ai dit: Après moi vient un homme qui m’a précédé, car il était avant moi.

Je ne le connaissais pas, mais c’est afin qu’il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser d’eau.

Jean rendit ce témoignage: J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et s’arrêter sur lui.

Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau, celui-là m’a dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise du Saint Esprit.

Et j’ai vu, et j’ai rendu témoignage qu’il est le Fils de Dieu.

L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde,

C’est cette première expression qui attire mon attention. Les catholiques reconnaîtront bien la formule qui est récitée et est répétée trois fois ( trinité oblige) juste avant le moment de l’eucharistie…mais bien avant qu’elle fasse partie d’une liturgie dominicale, bien encadrée, elle apparaît donc dans la bouche de Jean le Baptiste, un prophète juif du 1er siècle, auquel elle est attribuée, c’est-à-dire bien avant que la notion de dogme existe et qu’aucun des dogmes de l’église chrétienne n’aient été établis…

La question donc que je me pose, est de savoir d’où, dans la tradition juive cette image puisse venir… quels antécédents bibliques pouvait-elle avoir et pour quoi l’appliquer à Jésus ? Les réponses qui ont été données à ce sujet sont diverses. Certaines tournent autour de la Pâque juive, cette commémoration de la libération du peuple juif de l’esclavage égyptien : un agneau devait être sacrifié et son sang étalé sur le linteau de leur porte la veille de leur départ d’Égypte afin que l’ange du Seigneur épargne leur fils.

 «Parlez à toute l’assemblée d’Israël, et dites: Le dixième jour de ce mois, on prendra un agneau pour chaque famille, un agneau pour chaque maison [ . . .] Ce sera un agneau sans défaut, mâle, âgé d’un an; vous pourrez prendre un agneau ou un chevreau. On prendra de son sang, et on en mettra sur les deux poteaux et sur le linteau de la porte des maisons où on le mangera. [. . .] Quand vous le mangerez, vous aurez vos reins ceints, vos souliers aux pieds, et votre bâton à la main; et vous le mangerez à la hâte. C’est la Pâque de l’Éternel.Cette nuit-là, je passerai dans le pays d’Égypte, et je frapperai tous les premiers-nés du pays d’Égypte, depuis les hommes jusqu’aux animaux, et j’exercerai des jugements contre tous les dieux de l’Égypte. Je suis l’Éternel. Le sang vous servira de signe sur les maisons où vous serez; je verrai le sang, et je passerai par-dessus vous, et il n’y aura point de plaie qui vous détruise, quand je frapperai le pays d’Égypte. » (Extrait du livre de l’Exode)

sauf que, elle ne satisfait pas tout le monde car quand cette rencontre s’est passée, Jésus n’avait été ni fait prisonnier, ni été crucifié, ni sacrifié, ni immolé et donc que Jean le Baptiste le présente comme un agneau pascal qui enlève les péchés du monde semble..anachronique : ce n’est en tout cas pas du tout l’image que l’on se faisait du Messie à l’époque, qui était celle plutôt d’un roi triomphant. L’idée de Jésus- Christ, le messie, agneau de Dieu n’est venu que plus tard, avec les chrétiens.

Comment donc comprendre cette affirmation ? Le plus facile est bien entendu de dire que cette appellation ne vient pas de Jean Le Baptiste mais elle vient de de la communauté johannique à l’origine de la création de ce texte, qui après la mort de Jésus, l’a inséré dans cette scène. Solution de facilité? Une autre hypothèse que j’ai trouvé intéressante est que le mot « agneau » ne soit pas approprié comme traduction et comme choix du sens du mot grec utilisé qui viendrait de l’araméen et qui dans cette langue indiquerait un serviteur, un jeune homme ( je ne suis pas experte sur la question)…. Dans ce cas dire de Jésus qu’il viendra sauver les êtres humains du péché n’est pas si étonnant pour quelqu’un comme Jean le Baptiste qui prêchait la repentance. En d’autres termes que la mort de Jésus n’avait pas eu besoin d’avoir lieu pour que Jean utilise cette formule…(ROBERTS, J. H. (1968). The lamb of God. Neotestamentica, 2, 41–56. http://www.jstor.org/stable/43047704)

Toujours est-il que pour moi,dans la suite de cette rencontre, la répétition de la phrase « je ne le connaissais pas » suggère autre chose : un moment de révélation que Le Baptiste a eu quand il a vu Jésus :

Je ne le connaissais pas, mais c’est afin qu’il fût manifesté à Israël que je suis venu baptiser d’eau.[…] Je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau, celui-là m’a dit: Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise du Saint Esprit.

Il a en quelque sorte prophétisé sur qui était Jésus, sans en vraiment comprendre tout le sens. Tout à coup, il a reçu une compréhension particulière (comme dans les BD où l’on voit une ampoule qui s’allume au-dessus de la tête de la personne qui fait une découverte….) Dans ce sens Jean le Baptiste se retrouve dans la lignée de la tradition prophétique de l’ancien testament : les prophètes pouvaient annoncer des choses en termes symboliques qui ne s’étaient pas encore passées et qui ne pourront être interprétés qu’après les faits. On peut penser même à un épisode célèbre en ce qui concerne le choix des personnes, celui du fameux futur roi David que Dieu a demandé au prophète Samuel de consacrer pour remplacer le roi Saul qui lui avait désobéi alors que rien ne semblait le vouer à devenir le choisi de Dieu :

Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils, et Samuel lui dit : « Le Seigneur n’a choisi aucun de ceux-là. »
Alors Samuel dit à Jessé : « N’as-tu pas d’autres garçons ? » Jessé répondit : « Il reste encore le plus jeune, il est en train de garder le troupeau. » Alors Samuel dit à Jessé : « Envoie-le chercher : nous ne nous mettrons pas à table tant qu’il ne sera pas arrivé. »
Jessé le fit donc venir : le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.

Le Seigneur dit alors : « Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! »
Samuel prit la corne pleine d’huile, et lui donna l’onction au milieu de ses frères. L’Esprit du Seigneur s’empara de David à partir de ce jour-là.

(Samuel, le précurseur de Jean Baptiste ? Pourquoi pas!)

Ce même genre de révélation sur Jésus se retrouve dans l’évangile de Luc où l’on nous raconte qu’au moment de la présentation de Jésus au temple le vieillard Siméon reconnaît que l’enfant devant lui sera le Messie. ( Luc 2 : 25:32)

Et voici, il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d’Israël, et l’Esprit-Saint était sur lui. Il avait été divinement averti par le Saint-Esprit qu’il ne mourrait point avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint au temple, poussé par l’Esprit. Et, comme les parents apportaient le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard ce qu’ordonnait la loi,… il le reçut dans ses bras, bénit Dieu, et dit: Maintenant, Seigneur, tu laisses ton serviteur S’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut,…

L’idée donc que l’expression utilisée par Jean n’ait pas pu être de lui, ne tient que si on l’analyse avec une explication uniquement scientifique ( au sens le plus étroit du terme), et que l’on oublie qu’il faut la comprendre dans le contexte du judaïsme ambiant. Mais passons…

« le Fils de Dieu »

Également, on entend Jean nommer Jésus comme « le fils de Dieu » une expression qui est devenue lourde de sens ( tout le poids d’un dogme) alors qu’elle ne l’était pas particulièrement quand Jean l’a utilisée. Pour nous qui la lisons aujourd’hui, elle est parasitée par la formule du credo de Nicée (325-381) qui est d’ailleurs une expansion du prologue de Jean :

« Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : Il est Dieu, né de Dieu,lumière, née de la lumière,vrai Dieu, né du vrai Dieu.Engendré non pas créé,consubstantiel au Père et par lui tout a été fait. »

Si on appose tout cela, à la simple expression du Baptiste qui nomme Jésus, fils de Dieu, au lieu de l’accepter telle quelle, on fait presque un contre sens : on lui donne une valeur qu’il ne lui a pas donné, c’est vraiment nous qui extrapolons : c’est le poids du dogme qui est venu après qui nous empêche de voir que l’exclamation de Jean est tout à fait à sa place, dans cette scène qui se déroule au 1er siècle.

* * *

Ces moments de révélation, à l’aune d’une rencontre, on les a connus tous d’une manière ou d’une autre. En termes humains, on parle de coup de foudre quand on rencontre une personne de laquelle on se dit : c’est elle ( paraît-il car moi je n’ai pas eu de coup de foudre…). En tout cas ce qu’on appelle la conversion, c’est cela : entendre parler de Jésus et s’exclamer « c’est Lui que j’attendais et que nous attendons tous: il est cette vérité et cette lumière qui nous paraissaient si élusives !” On ne sait pas exactement comment on arrive à cette conviction car à ce moment-là, elle s’impose comme une évidence!

Et pourtant comme le Baptiste on peut avoir aussi plus tard au milieu des difficultés et des épreuves, des doutes quand on se demande si on n’a pas exagéré ou rêvé et on commence à remettre en cause ce moment de révélation, ce « euréka » que l’on a vécu qui était à la fois tellement fort et insensé.…

Cette scène, je la comprends un peu mieux maintenant : peu importe si Le Baptiste a utilisé un mot qui voulait dire agneau ou serviteur, peu importe si les mots qui nous sont rapportés ne sont pas mot pour mot ce qu’il a dit, ce que j’en retiens c’est que pour lui, cette rencontre avec Jésus a été un moment de révélation, d’illumination… Et toute l’histoire de Jésus est racontée par des hommes et des femmes qui ont eu, en rencontrant Jésus, des moments comme celui-là…C’est ça le témoignage de l’évangile ou devrait-on dire de l’église même si ce mot est aussi parasité !

Répit

le 4 octobre, 2022, Auvergne

On avait allumé le feu,

et sorti les pulls des placards

on s’était remis

à enfiler des chaussettes le soir,

avant de se blottir sous les draps,

***

on était retourné aux tasses de chocolat chaud,

et aux bols de soupe

pour se réchauffer

les doigts engourdis

***

Mais voilà

Le froid est reparti

et le linge a pu sécher dehors

sous la chaleur retrouvée

d’un soleil radieux…

***

Répit qui nous est accordé

avant l’inévitable avancée de l’hiver,

car les ombres ne trompent pas,

elles sont allongées sous ce soleil d’automne,

et le froid reviendra bientôt

pour s’installer une bonne fois pour toute.

***

Mais en attendant

C’est toujours un jour de gagné…

De quoi célébrer !

En chemin,

La photo est de la gare de Midi à Bruxelles

le 27 septembre, dans le train,

(Paris, Clermont Ferrand…)

Pour une fois, on n’a pas un train pourri…

et le train n’est pas bondé non plus…

pas de course effrénée pour l’attraper

mais quand même des escaliers à monter et à descendre

quand il a fallu changer de gare,

la galère d’être obligé de passer par Paris…

***

Le luxe retrouvé maintenant

d’avoir du temps pour soi,

C’est ce fossé là qui sépare la vie que je viens de quitter

de celle que je vais retrouver

Il y a des tas de fossés qui séparent les êtres humains,

Un de plus est entre ceux qui ont le temps,

de prendre le temps

et ceux qui ne l’ont pas…

* * *

Une inégalité de plus ? Les inégalités d’une certaine manière, sont au cœur de l’expérience humaine : comment les vivre au quotidien ?

Mais , peut-être que le mot inégalité est excessif : après tout, l’absence d’activité peut être aussi vue comme un manque à vivre pour les chômeurs longue durée, les jeunes qui peinent à trouver leur voie, les seniors que l’on ne sollicite plus : le temps est alors fait de moments vides qui n’en finissent pas de s’égrener les uns après les autres sans rime ni raison.

En réalité, l’isolement est bien plus un facteur d’inégalité que le manque de temps. L’absence de relation humaine crée la catégorie fâcheuse des laissés pour compte… Ces esseulés abandonnés au bord du chemin… le revers de la médaille de notre individualisme forcené !

* * *

Finalement, il me faut donc rectifier le tir

Avoir le temps de prendre le temps est un luxe

mais seulement quand il ne se conjugue pas avec

isolement…

Gâtée suis-je, moi

qui peux avoir l’un

sans avoir l’autre

Que puis-je faire d’autre alors

que de dire merci?

Sérénité ou supplique?

Dimanche 25 septembre 2022, Bruxelles…

En vrac

On est en ville, mais grâce à la pluie dans le jardin derrière la maison, la nature est généreuse, les buissons sont feuillus et les rosiers fleurissent…

Ici, évidemment l’automne est bien arrivé : de la pluie et de la fraîcheur le matin quand on conduit les enfants à l’école où la maternelle a presque autant de nationalités et de langues que les Nations Unies mais est certainement plus propice à construire la paix que les conférences des gouvernants avec leurs discours creux et grandiloquents…

Les enfants n’ont pas encore appris qui ils doivent détester et de qui ils doivent se méfier… pour l’instant, ils jouent les uns avec les autres, se poussant quelquefois, se disputant de temps en temps, mais sans rancœurs ancestrales, ni coups prémédités… Le vivre ensemble que leur enseigne la professeure ( je n’ai vu aucun homme) du moment, durera-t-il suffisamment longtemps pour impacter leur vie d’adulte quand on leur demandera de se battre contre leurs voisins ?

Dans ce quartier cossu, on voit quelques mendiants, qui, dans les grandes villes, semble-t-il se ressemblent tous : les femmes assises par terre, un foulard sur la tête, un gobelet devant elles. Ah si je pouvais parler leur langue et avoir une vraie conversation avec elles et arriver à les connaître : on se sent démuni devant elles et mettre une pièce dans leur gobelet semble tellement dérisoire !

Par contre les hommes avec leurs chiens qui s’installent devant la supérette, me font moins mal au cœur… ils ont l’air d’appartenir à un petit groupe dont les membres se relaient sans trop se disputer et discutent entre eux sur un coin de la place …

* * *

Dans ce pays de tradition catholique, aujourd’hui dimanche, des familles avec des enfants en bas âge, des officiants qui s’installent au fond de l’église plutôt que devant un autel, une offertoire où tous les enfants sont invités à participer une bougie à la main, des chaises et des tables de chaque côté de l’église où l’on peut s’installer tranquillement et observer, donne l’image d’un lieu ouvert accueillant, adapté au monde alentour.

Je m’étonne encore du contraste entre la ville et la campagne où c’est à la campagne que le christianisme se meurt, et c’est en ville que l’on peut trouver les lieux vivants d’une foi renouvelée.

Aujourd’hui, dimanche… jour du Seigneur dit-on, on a pu faire une vraie pause après une semaine vécue dans la frénésie…

* * *

Sérénité…

impossible de la vivre au quotidien ….

Tous les conseils et les stratégies qui sont enseignées par les différents gourous ne peuvent rien contre les demandes incessantes des uns et des autres….

Les petits comme les grands,

sans parler de celles du travail

indispensable pour faire marcher le monde dans lequel nous vivons, où il faut manger, se vêtir, se déplacer, se loger, communiquer, en un mot, construire la cité des hommes si temporaire soit-elle…

Il suffit d’un rien pour que notre coupe soit pleine, pour que la patience nous manque, pour que le découragement nous envahisse, pour que la colère monte…

et nous voilà emportés dans une course effrénée…

La sérénité, on se dit, c’est très bien pour ceux qui vivent seuls…

sans soucis sans responsabilités,

mais nous comment fait-on ?

* * *

C’est plutôt, le cri, la prière, la supplique

qui nous accompagne au quotidien,

pas la sérénité,

vertu d’un monde aseptisé,

éloigné du monde des vivants

et si on la perd mille fois au cours de la journée

Peu importe, après tout

car c’est la confiance qui nous porte,

celle en Celui

dont les bras sont pour toujours

déployés sur la croix…

Enough is enough

le 19 septembre 2022, Bruxelles

Funérailles

J’ai envie de le dire un peu dans toutes les langues que j’utilise : « enough is enough » « n’en jetez plus la cour est pleine » « ya basta ! »

Bon, même si je trouve que la reine Élisabeth avait de vraies qualités, ça commence à vraiment me gêner qu’on en fasse tant…tant d’hommages, d’honneur et de pompe pour une simple personne humaine…ça devient indécent…ça frise l’idolâtrie…

(surtout cette couronne perchée sur son tombeau…quel symbole…car après tout ce n’est qu’un cadavre au-dessous, alors une couronne si précieuse soit-elle, perchée sur un cadavre, quelle ironie ! Un vrai symbole de la dérision du pouvoir! Ce qui me vient à l’esprit c’est la formule tirée du livre de la Genèse « tu es poussière et tu reviendras poussière »)

Et comme en plus la reine était cheffe de l’église anglicane, il y a tout un volet religieux…qui me met encore plus mal à l’aise : Jésus, s’il n’était pas ressuscité se retournerait dans sa tombe… ! Alors on dit la pompe de Rome avec le pape et les cardinaux mais l’église anglicane là, elle lui fait vraiment concurrence…qui est le plus éloigné de la simplicité du Jésus crucifié dont le corps a été ramassé à la va-vite à la tombée de la nuit sans qu’on ait le temps de lui donner une vraie sépulture ( bon, d’accord, il a été ressuscité mais ce n’était même pas sous le feu des caméras) ? Je crois qu’ils sont à égalité : là-dessus, l’un ne vaut pas mieux que l’autre !

D’un côté ça coûte, de l’autre ça rapporte aussi… certainement il y aura des gens qui feront des comptes et calculeront combien ça a coûté mais ce sera plus difficile d’évaluer ce que ça aura rapporté.

À l’heure où j’écris la procession continue vers je ne sais où … mais demain tout sera fini!

Ouf ! On va enfin pouvoir passer à autre chose…

Nostalgie

le 13 septembre 2022, dans le train…

Petits bonheurs,

la gare à moitié désaffectée…

où il n’y a plus ni garde-barrière, ni guichet…

mais quand même,

un abri et un vrai panneau lumineux..

où on entend encore le passage à niveau sonner

annonçant l’arrivée du train,

dans ce lieu oublié

* * *

Le bruit des roues sur les rails

le balancement des wagons

ce rythme rassurant qui berce,

au fur et à mesure que le train avance,

* * *

Champs, arbres, vaches et chevaux,

villages perchés en haut des collines,

qui défilent à toute vitesse derrière les vitres,

indifférents,

à notre passage…

* * *

le sifflet du train à l’approche d’un village,

l’obscurité soudaine d’un tunnel,

le ralentissement à l’annonce des gares

tout m’est familier…

tout me replonge dans un passé révolu

* * *

Même si … le train ce n’est pas toujours la panacée : les toilettes sales.. les bousculades les jours de grands départs, les grèves inattendues, les contrôleurs aimables comme des portes de prison, et par les temps qui courent un site internet qui fonctionne à moitié sans mentionner l’impossibilité d’avoir une personne en chair et en os au téléphone ou même aux guichets qui eux ont presque totalement disparu… bref…ce n’est pas toujours que du bonheur…

* * *

Aujourd’hui pourtant, mardi 13 ( jour de malheur en Colombie, ce n’est pas le vendredi 13 comme ici), est un jour faste : ça doit être parce qu’au bout du voyage à Bruxelles m’attendent deux petits enfants colombiens (entre autres nationalités), qui se font une fête de me revoir…,

comme quoi…

Le bonheur, ça tient à des petits… rien !

Madame se meurt! Madame est morte!

Le 9 septembre 2022, Auvergne

Madame se meurt ! Madame est morte !

Ces exclamations, non, ne concernent pas la mort d’Élizabeth II, contrairement à ce qu’on pourrait penser, car la date n’est pas le 8 septembre 2022 , mais le 21 juin 1670…. Une autre grande de ce monde s’éteignait, mais contrairement à cette souveraine âgée de 96 ans dont la mort etait préparée depuis longtemps…celle-ci aussi membre d’une famille royale, Henriette d’Angleterre ( une autre britannique) femme du duc d’Orleans, frère du roi, n’avait que 26 ans !

Evidemment, il n’y avait pas les réseaux sociaux et l’internet ni même la radio et la télévision et si l’imprimerie avait été inventée depuis deux siècles, le quotidien de masse n’existait pas … mais il y avait d’autres moyens de communication et la nouvelle de son décès s’est répandu comme une trainée de poudre dans le tout Paris de l’époque et a occupé les esprits, si l’on en croit le sieur Bossuet dans sa fameuse « oraison funèbre ».

 « Ô nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt, Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille ? Au premier bruit d’un mal si étrange, on accourut à Saint-Cloud de toutes parts ; on trouve tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Partout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir, et l’image de la mort. Le Roi, la Reine, Monsieur, toute la Cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l’accomplissement de cette parole du prophète : Le roi pleurera, le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d’étonnement »

(Comme vous voyez, plus ça change, plus c’est la même chose)

Mais évidemment, ce que ne mentionnera pas Bossuet, est qu’il y aura bien des rumeurs qui se répandront autour de sa mort, surtout que dans son cas, n’ayant pas fait le vœu de chasteté ( ni de fidélité semble-t-il car elle était mariée) durant sa courte vie, certains soupçonnèrent qu’elle ait pu être empoisonnée…comme quoi , les familles royales et leur progéniture ont toujours défrayé la chronique et suscité une fascination et une curiosité jamais assouvie.

En tous cas, comme aujourd’hui, les grands de ce monde avaient leur aumônier attitré, dont le rôle était censé  les conseiller ou plutôt  les absoudre de toutes les fautes qu’ils commettaient pour les rassurer qu’ils iraient quand même au paradis… s’ils donnaient un pécule conséquent à l’église…. (rien à voir avec le Jean Baptiste que l’on est en train d’étudier qui s’est fait coupé la tête à cause de son franc parler selon les textes des évangiles, et au moins mis   à mort selon l’historien juif Flavius Josèphe).

Bossuet faisait donc partie de cette caste ecclésiastique privilégiée et fortunée dénoncée dans les écrits de Blaise Pascal ( Les Provinciales, 1656) qui lui ne s’est pas fait assassiner mais a connu l’exil ( il est quand même mort jeune à 39 ans)

Bref…c’est Bossuet qui a donc prononcé ce fameux sermon, ou « Oraison funèbre » exemple nous disait-on d’une éloquence admirable, quand on l’étudiait en cours de littérature du XVII ème siècle ( je me demande si maintenant avec l’obsession pour la laicité on l’étudie encore) où il s’exclamait : Madame se meurt Madame est morte !

Alors pour la reine d’Angleterre, Elizabeth II, il n’y aura pas de Bossuet mais l’évêque de Canterbury dont on scrutera tous les aspects de l’homélie le jour des funérailles ( je n’aimerais pas être à sa place et devoir préparer un sermon qui sera entendu par probablement des millions de personnes…mais après tout, il ne crève pas la faim et est payé pour ça) et en tout cas, même si elle n’était pas une sainte , ( ça n’existe pas dans l’église anglicane, de toutes façons. ) on peut quand même dire qu’elle a donné un témoignage exceptionnel tout au long de sa vie ( on la disait très croyante) où le terme de « service public » voulait dire quelque chose.

Il faut donc s’attendre à ce que le blitz médiatique continue et que les hommages à cette reine décédée se repaissent  dans le superlatif et l’hyperbole. Mais en plus si elle, n’a pas été l’objet de scandale, ce n’est pas le cas de sa progéniture, en commençant pas son fils et sa belle fille le nouveau roi Charles III et reine Camilla dont on connaît les amours adultères, et comme aux funérailles toute la famille est conviée les tabloïds ( les magazines people dit-on en bon français avec l’accent) britanniques mais aussi du monde entier auront de quoi s’en donner à cœur joie et auront matière à remplir leurs colonnes et alimenter leurs comptes Twitter et autres pour les semaines et mois à venir… Pas besoin de regarder des émissions de télé réalité ni de voir des téléfilms tous les ingrédients sont là dans un genre où les funérailles sont toujours des scènes où l’on atteint une sorte de paroxysme dans le déroulement de l’histoire…

Mais éloignons nous de tout ce fracas médiatique

Et revenons à Bossuet ou même avant Bossuet, à cette époque bénie et incomprise du Moyen âge ( que j’affectionne particulièrement), où la mort des grands était vue différemment si l’on en croit les nombreuses gravures et peintures représentées dans les églises…comme celles de la danse macabre où même le pape est dépouillé de ses atours dans l’image qui illustre cette chronique. (Une des dix-sept gravures sur bois de la « Danse macabre du cloître des Saints-Innocents » à Paris. Publiées en 1485 par deux éditeurs parisiens, Guyot Marchant et Verard, elles furent diffusées dans toute l’Europe )

Le peuple qui lui, avait trimé toute sa vie, avait tendance à se réjouir quand les grands mouraient car eux avaient eu plutôt tendance à les opprimer, en se disant…maintenant ils vont avoir leur dû car devant la mort on est tous égaux. C’était donc une leçon d’égalité qui était prêchée au moment de leurs morts.

Et pour en attester, car à une époque où le peuple n’avait pas accès à l’écrit, les gens s’exprimaient à travers les chansons, citons celle du roi Dagobert, qui fait encore rire les enfants et dont le premier couplet commence ainsi :

C’est le roi Dagobet qui a mis sa culotte à l’envers,

et le bon st Éloi oui dit O mon roi, votre Majesté est mal culotté,

C’est vrai lui dit le roi

Qu’on me la remette a l’endroit….

Mais si ce n’est que le premier couplet que l’on connaît, les derniers en valent la peine car ils font eux preuve d’une théologie chrétienne bien éloignée de celles des aumôniers des cours royales:

Le bon roi Dagobert
Craignait d´aller en enfer
Le grand Saint Eloi lui dit :
“O mon Roi, Je crois bien, ma foi
Que vous irez tout droit”
“C´est vrai, lui dit le roi,
Ne veux-tu pas prier pour moi?”


Quand Dagobert mourut
Le Diable aussitôt accourut.
Le grand Saint Eloi lui dit :
“O mon Roi, Satan va passer
Faut vous confesser”
“Hélas!, lui dit le roi,
Ne pourrais-tu mourir pour moi?”

Eh bien non ! Il ne peut pas !

La morale de l’histoire ?

C’est pas « devant la mort, on est tous égaux » car les conditions dans lesquelles on meurt varient énormément selon sa position sociale et ses moyens financiers, mais « après la mort on est tous égaux » et quels que soient les hommages de discours grandiloquents et dithyrambiques qui sont et seront prononcés pour rendre hommage à la reine Elizabeth seul Dieu peut la juger avec équité…

Une consolation ?

Peut-être !

L’occasion, dans cette folie médiatique de la surenchère, de garder un regard plus serein sur la mort de cette reine.

“il nous faut raison garder” dirait on ne sait plus qui…

N.B. Pour lire tout le texte de l’Oraison funèbre de Bossuet, voilà un lien : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Oraisons_fun%C3%A8bres_(Bossuet)/Henriette_Anne_d%E2%80%99Angleterre,_Duchesse_d%E2%80%99Orl%C3%A9ans