Laquelle des trois églises?

peinture de Marc Chagall

Du 10 au 23 novembre, Auvergne, Paris, Virginie

la 1ère ou la dernière en date, en Virginie

Maintenant que je suis de l’autre côté de l’Atlantique… je retrouve cette petite église rurale à laquelle assistent trois pelés et deux tondus…

Rien n’est traditionnel ni solennel dans ce lieu ( sauf un drapeau américain installé sur le côté gauche), encore moins historique : un bâtiment rectangulaire sans clocher, une grande pièce, avec un pupitre roulant au milieu, des chaises en métal, pliables, alignées en rang les unes derrière les autres, une cuisine américaine ( c’est le cas de le dire!) au fond, des toilettes et des pièces utilisées pour l’enseignement des plus jeunes ou une garderie pour les petits… ( bien vides ces derniers temps)

Le pasteur étant absent ( il est aussi musicien professionnel ce qui lui permet de suppléer à son maigre salaire) , c’est un membre du groupe qui a dirigé le culte, qui lui n’avait rien de traditionnel non plus : en bras de chemise, dans la quarantaine, ses bras nus étaient totalement couverts de tatouage… !

Étonnement ( je dis étonnement car je suis bourrée d’a priori) son sermon a été tout à fait convenable : commentaire du psaume 91, en ces périodes de fêtes de fin d’année, à commencer par Thanksgiving, la fête familiale par excellence ici, il a parlé de toutes ces personnes qui sont déprimées à cette époque parce-qu’elles n’ont pas de famille, vivent dans la précarité la solitude et la détresse…et qui avaient besoin de savoir qu’ils pouvaient avoir confiance en Dieu, qui ne les abandonnerait pas et les délivrerait le moment venu…

Il devait savoir ce dont il parlait même s’il avait l’air plutôt avenant ce jour là et les gens présents auxquels il s’adressait avaient certainement vécu bien des galères : je connais l’histoire de quelques uns , leurs problèmes de santé chronique, de perte soudaine d’un emploi, ou au contraire de travail épuisant, de drames familiaux, d’enfants ou de petits enfants addicts à la drogue, de neveux et nièces interpelés par la police pour conduire en état d’ébriété, de voisins ou collègues victimes ou perprétrateurs de violence … c’est au moment du partage des intentions de prière que j’ai l’impression que c’est toute la détresse du monde qui est évoquée dans ce microcosme de paroisse…Ici on ne fait pas semblant…

Évangéliques bien ‘blancs’, dont beaucoup on dirait dans le vocabulaire français, «n’ont pas réussi» ou en anglais «losers» et qui quand ils vont mieux ont tendance à émigrer vers une congrégation un peu plus structurée avec des gens plus convenables…

En tout cas, l’évangile de la prospérité dont on nous parle tant dans les médias…ici on ne connaît pas…( pourtant, paradoxe, beaucoup d’entre eux ont voté pour les milliardaires qui se trouvent aujourd’hui dans la Maison Blanche )

La deuxième, à Paris

Le contraste, la vraie paroisse de nantis !

Celle dans laquelle je suis allée quand je suis passée par Paris avant de revenir ici… Faut dire à leur décharge que quand on a pignon sur rue , dans le premier arrondissement, côté faubourg St Honoré… à quoi d’autre pourrait-on s’attendre ?

Je l’avais donc bien cherché : j’avais envie, pour une fois, d’aller dans une église où je pouvais écouter de la belle musique d’orgue jouée par un professionnel, une chorale qui ne chante pas faux et jouir de la tranquillité que procure une organisation sans faille où chacun a un rôle assigné d’avance où les enfants ne courent pas un peu partout.. et où il n’y a pas de SDF agressif qui s’introduise au milieu du culte pour en perturber le déroulement …

Et effectivement, j’en ai eu pour mon argent !

Bulletins imprimés et distribués à l’entrée, lieu surveillé et sécurisé indiquaient une ou deux notices, tout un beau monde bien habillé et bien présenté ( je ne veux pas dire complet cravate pour les hommes et robes pour les femmes, mais chaussures de tennis et jeans de marque, dans le mode sobre et écolo et surtout pas de style, m’as-tu vu, comme on le voit chez les nouveaux riches ou dans certaines communautés issues de l’immigration…peut-être pas tous aussi blancs que dans la virginie rurale, mais presque.. ).

Ceux qui se connaissaient, se saluaient poliment, sans effusion, des visages plutôt tristes, en tout cas sérieux et circonspects. Un sourire ou deux quand les plus jeunes ont été invités à faire une lecture pendant le culte, mais si non rien qui ne fasse craindre un débordement quelconque… L’église était sinon, pleine bien fréquentée, devrais-je ajouter…

Quant au bâtiment, il était historique bien évidemment, classé en plus, (on pouvait visiter l’endroit certains jours et à certaines heures pendant la semaine) mais le plus étonnant peut-être est que, s’il n’y a pas eu de défilés solennels d’évêques en surplis jusqu’à un autel central, un pasteur homme en l’occurrence, déguisé en costume du 16 ème ( une robe noire avec un col rabat blanc, la tenue des professeurs d’université parait-il de l’époque) a grimpé dans une de ces chaires souvent tombées en désuétude, qui surplombent la congrégation à laquelle on parvient grâce par un escalier étroit en colimaçon pour y prononcer un sermon digne d’un détenteur d’un bac+ 10 : bien construit, basé sur des connaissances bibliques solides, avec une petite pointe d’humour au passage, et une note personnelle, pas trop long, où le prédicateur n’est pas un excité, et surtout où l’on pouvait attendre tranquillement la conclusion sans craindre d’être vraiment perturbé…. un sermon comme on les aime, qui ne fait pas de vague, un vrai plaisir à écouter…

( par contre l’Esprit Saint, persona non grata ? , il a dû quand même être là car Il a été nommé à un moment donné me semble-t-il là, mais il s’est fait tout petit… pour ne pas perturber non plus ? En tout cas aucun souvenir de ce que le pasteur a pu dire sauf que c’était d’une grande subtilité théologique qui paraît-il n’était pas anodine )

Bref, à la fin, pour couronner l’expérience et ne pas enfreindre à la tradition de mon enfance, on est allé dans une pâtisserie pour acheter des gâteaux pour nos hôtes… qui eux avaient mille et une tâche à assumer … et pour qui se déplacer pour une belle expérience esthétique n’était pas la priorité…

et la troisième, au fin fond de l’Auvergne dans les déserts médicaux ou/et ecclésiaux..

Face à ces deux groupes si éloignées l’un de l’autre, je finirais par mentionner, cette église rurale, catholique celle-là, où je vais quelquefois, et où assistent trois pelés et deux tondus comme la première, et officie un prêtre d’outre mer ( c’était pas un cadeau qu’on lui avait fait, ces églises de vieux alors que lui devait être habitué à des églises pleines de jeunes ) , dans une église énorme, froide bien sûr, avec des fissures dans la coupole, ( à chaque fois je me demande si un de ces 4, le ciel va nous tomber sur la terre), où il doit galérer pour trouver au dernier moment parmi les quelques personnes présentes qui essaient de s’esquiver, quelqu’un qui accepte de faire les lectures où même d’entonner les chants… (Il doit y avoir un orgue… mais ça fait belle lurette qu’il n’y a plus personne pour le jouer…)

Pas question de passer à une bonne pâtisserie après la messe, car plus vraiment de pâtisserie dans cette petite ville, une seule boulangerie qui quelquefois est fermée d’ailleurs…

Entre les trois mon cœur balance ?

En réalité pas vraiment… si de temps en temps j’ai envie de me retrouver dans un beau lieu silencieux pour prier, ou dans une église pour vibrer au son des grandes orgues, quand il s’agit de vivre au sein d’une communauté chrétienne, je préfère de loin celles qui sont bancales…si tout marche comme sur des roulettes, je me méfie, j’ai envie de mettre un coup de pied dans la fourmilière pour voir ce qui va en sortir…

je me souviens de cette parole de Jésus

«Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs »

Alors quand les gens sont trop beaux, trop polis, trop sages, ça me fait penser à un club auquel seul un groupe de personnes trié sur le volet peut appartenir pas à un groupe de personnes que Jésus a appelé à le suivre. Une église où des dirigeants appartiennent à une classe sociale de privilégiés où les moins fortunés sont absents ou relégués au deuxième rang ou pire encore sont uniquement l’objet de la charité organisée de la communauté , ce n’est pas celle instituée par Jésus..

(Si parmi les églises les plus fréquentables, il y a certainement des pêcheurs/des ratés/ des losers, on prend bien soin de ne pas le montrer pour ne pas dépareiller si illustre et sainte assemblée le dimanche! )

Il y a donc l’Église avec une majuscule, celle qui se déguise plus ou moins tous les dimanches pour apparaître convenable et dont on parle au singulier avec souvent à juste titre un soupir de désapprobation …

et il y a les autres …

anonymes, insignifiantes, bringuebalantes…

celles où c’est Jésus qui officie…

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