Jésus défenseur des femmes tondues

manuscrit-extrait-marc

Le 22 juillet 2025

https://actu.fr/centre-val-de-loire/nogent-le-rotrou_28280/histoire-tondues-nogent-rotrou_15856449.html

Jean 8 : 1-11

Introduction

Maintenant on en arrive à l’une des anecdotes les plus sympas et les plus agréables à lire et à commenter de l’évangile de Jean, le pardon de Jésus à la femme adultère … après avoir quand même pas mal galéré avec le «  manger ma chair et boire mon sang », ça fait plaisir de se retrouver face à cette histoire…

Sauf que … ( il y a toujours un mais) l’histoire de cette histoire est… toute une histoire !

Si je comprends bien, le problème est que l’on ne trouve pas cette anecdote (le mot est péricope pour les initiés) dans les manuscrits les plus anciens de cet évangile et qu’il fait son apparition quelque temps plus tard dans différents écrits mais avec beaucoup de variations… tant et si bien qu’on ne sait pas qui ni comment ni quand il aurait été  « rajouté » et finalement inclus dans le texte officiel canonique de l’évangile…

Alors évidemment, les théories vont bon train et les hypothèses que personne ne peut complètement prouver ou réfuter ont été émises et discutées …mais dans tout cela, ce qui est rassurant c’est que les spécialistes aujourd’hui ne remettent pas en cause l’historicité ou l’authenticité de l’épisode et le fait qu’il remonte à Jésus … (ouf) mais sur comment et pourquoi il a atterri à cet endroit de l’évangile de Jean…ça c’est une autre histoire et un autre débat…

( Beaucoup considèrent que l’hésitation d’inclure cet épisode est qu’étant donné le caractère scandaleux de l’histoire, il aurait été omis par des copistes soucieux de la bonne morale et réintégré plus tard… je dois avouer que j’aime bien cette hypothèse)

Pour moi la question est plus simple : si vraiment cet épisode ne remonte pas au Jésus de Nazareth, pourquoi dans un évangile qui cherche à prouver que Jésus est l’envoyé de Dieu, « le Fils » du Père, inclure ou pire inventer un épisode aussi scandaleux qui au contraire le discréditerait ?

Moi je vote donc pour son authenticité…peut-être aussi parce que je suis une femme et que ce texte me tient d’autant plus à coeur…

( cet article fait un résumé des études sur la question et croit en son authenticité…The Story of Jesus and the Adulteress (John 7,53-8,11) Reconsidered John PaulBiblicaVol.No. 2 (1991)pp. 182-191 (10 pages) Published By: Peeters Publishers j’en cite d’autres à la fin…en anglais, désolée) )

L’épisode en question…

Quant à Jésus, il s’en alla au mont des Oliviers.

Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.

Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu,

et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.

Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »

Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.

Comme toujours dans les évangiles, comme ce ne sont pas des reportages mais des témoignages, les détails de lieu et de temps qui nous sont donnés sont succincts et sont ceux d’une personne qui aurait assisté à la scène où l’aurait entendu rapportée et pour qui ce genre d’information serait secondaire.

( dans le temple, où exactement ? Comme il s’agit d’une foule ça ne peut pas être n’importe où et y aurait-il eu des femmes présentes…mais pas plus de précision étant donné peut-être que les auditeurs juifs sauraient naturellement où ça pourrait se dérouler et pour les autres, ce ne serait pas aussi important)

En tout cas cette scène d’une femme que des hommes exhibent et installent au milieu de la foule, ça me fait froid dans le dos ...je ne peux qu’imaginer sa terreur, sa honte … on ne dit rien d’elle… mais je sais malheureusement que des scènes semblables continuent à se dérouler encore aujourd’hui…

et en France, de telles scènes ne sont pas non plus si lointaines… elles me rappellent ces images que l’on peut voir encore de la libération en 1945, de ces femmes tondues accusées d’avoir couché avec des soldats allemands et que l’on traînait devant la foule qui leur crachait dessus, les insultait etc… ou les tondait en public… leurs regards de bêtes traquées sont imprimées dans ma mémoire.. D’où l’illustration en haut de la page…

La réaction de Jésus est étonnante et je ne peux m’empêcher de noter l’intelligence de son silence et du fait qu’en baissant la tête et en écrivant sur le sol, il oblige tous ceux présents , la foule autant que les accusateurs, à faire une pause de réflexion … Certainement, cela fait baisser le tempo du moment où l’enseignement de Jésus est interrompu brutalement par l’ irruption d’hommes excités tout contents d’avoir surpris une femme commettre un adultère et impatients d’entendre sa réponse..

( un article très intéressant a été écrit sur la réaction de Jésus et son caractère approprié)

En tout cas le manque de détails sur la femme et les circonstances même de ce flagrant délit ( où ? avec qui ? l’homme étant absent bien sûr…) montre que la scène ne tourne pas autour de son sort, qu’elle importe peu, mais qu’elle est l’occasion de tendre un piège à Jésus et de le discréditer : rien de plus, ni rien de moins.

Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »

Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.

De toute évidence, ils sont déçus que Jésus ne réponde pas et qu’il n’entre pas dans leur jeu, ils insistent donc… alors, il prononce cette phrase qui deviendra célèbre car elle dévoile que derrière toute condamnation il y a de la part de celui qui condamne, l’implication que lui n’a rien à se reprocher, surtout que dans ce cas c’est un adultère que ces hommes lui reprochent d’avoir commis sauf que …. si l’on en croit Jésus qui met toujours la barre très haut…

« Mais moi je vous dis: Tout homme qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur »

Donc…. Lequel de ces hommes serait-il vraiment sans péché…. ???

Pourtant Jésus, et c’est là son génie, n’élabore pas, ne nomme rien de précis, et ne les dénonce pas lui-même, il ne les regarde même pas ( on peut en dire tellement dans un regard) et leur laisse maintenant le temps de la réflexion… d’examiner eux-mêmes leur conscience… de découvrir leur hypocrisie et d’en tirer les conséquences…

( il est d’ailleurs intéressant de noter que beaucoup des commentateurs d’antan ont imaginé que Jésus avait écrit une liste de péchés sur le sol ! Preuve qu’eux, ils n’étaient pas si malins que ça)

Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.

La fougue de l’homme jeune qui lui-même a du mal à gérer sa sexualité…l’empêche d’avoir la lucidité et la sagesse des plus âgés qui partiront les premiers…

Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »

Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Maintenant qu’ils sont tous partis, et qu’elle n’est plus terrifiée, ni non plus soumise aux regards désapprobateurs ou haineux de qui que ce soit, Jésus lui la regarde et s’adresse à elle avec respect ayant la délicatesse de ni l’accuser ni lui demander si elle est vraiment coupable…Elle redevient une personne à part entière et retrouve sa dignité…

Viens finalement cette phrase finale avec le « désormais ne pêche plus » sur lequel plus d’un prédicateur s’est fait le devoir d’insister lourdement pour noter que oui que cette femme est coupable, oui l’adultère est un péché, et que non Jésus ne l’approuve pas et que s’il ne l’a pas condamnée, il lui dit bien de ne plus recommencer… essayant d’enlever aux paroles de Jésus ce qu’elles avaient de choquantes et de tolérantes face à une femme dite de mauvaise vie…

* * *

Ce que J’en retiens…

Cet épisode me réjouit profondément et en le relisant de près, je me demande si encore aujourd’hui, après le me#too contre lequel tant de gens bien pensants s’insurgent maintenant, on se rend compte à quelle point cette scène est avant-gardiste pour ne pas dire révolutionnaire quant à la défense des femmes et surtout à la contestation du droit de les condamner des hommes alors qu’eux-mêmes sont certainement coupables d’enfreindre ou d’avoir enfreint les interdictions sur l’adultère… Une dénonciation avant l’heure encore une fois de l’hypocrisie des hommes religieux dont la révélation des frasques sexuelles, font périodiquement la Une des journaux..

De plus, en ne condamnant pas la femme adultère, qui restera à toujours anonyme, Jésus redonne leur dignité à toutes les femmes traînées dans la boue, humiliées publiquement dans le monde et /ou pire, condamnées à mort par des tribunaux d’hommes injustes et hypocrites.

Malheureusement, cet aspect là de la défense des femmes et de la condamnation des hommes, n’a pas été souvent au centre des commentaires et sermons sur ce texte : on a préféré car moins dangereux et moins subversif, d’insister sur le pardon en général, s’intéressant plutôt aux aspects de la loi juive sur la question de l’adultère, proposant des scénarios sur ce qu’avaient pu être les circonstances de ce flagrant délit et essayant de savoir si la femme était mariée ou pas… En tout cas, les royaumes de la chrétienté à travers les siècles ne semblent pas en avoir tenu compte dans leur traitement des femmes….si on en croit toutes les chasses aux sorcières auxquels ecclésiastiques et autres manants se sont livrés …et continuent à le faire…

Heureusement, fort heureusement, que cette scène a été gardée et rapportée… à croire que l’Esprit Saint/ Paraclet/ a eu quelque chose à voir dans la rédaction et la compilation des textes évangéliques malgré toutes les controverses et interrogations qu’ils ont pu susciter…

Alors, une fois n’est pas coutume, je dis : Vive l’évangile de Jean !

NB. Pour aller plus loin, quelques articles qui examinent la question de l’omission puis de la réapparition de cette épisode dans l’évangile de Jean, ainsi que la rédaction du texte et ces différentes versions :

Knust, J., & Wasserman, T. (2010). Earth Accuses Earth: Tracing What Jesus Wrote on the Ground. The Harvard Theological Review, 103(4), 407–446. http://www.jstor.org/stable/40930895O’Day, G. R. (1992). John 7:53-8:11: A Study in Misreading. Journal of Biblical Literature, 111(4), 631–640. https://doi.org/10.2307/3267436
Deans, T. (2014). The Rhetoric of Jesus Writing in the Story of the Woman Accused of Adultery (John 7.53-8.11). College Composition and Communication, 65(3), 406–429. http://www.jstor.org/stable/43491482

Leave a comment