le 15 avril, 2025 , Auvergne
(semaine sainte)
C’est un peu dommage que l’hyper ritualisation de l’histoire de la mort de Jésus, en a fait un mythe religieux qui existe dans une sphère à part, loin des réalités du monde dans lequel on vit. La répétition des mots qu’il a prononcés, les représentations multiples qui alimentent l’imaginaire des croyants, les processions hautes en couleur où s’épanchent la ferveur populaire, relèguent ses faits et gestes à un au-delà du réel, à un univers du sacré qui trouve sa propre raison d’être en lui-même, détaché du quotidien, totalement désincarné…
Pourtant, un homme innocent condamné à mort en bonne et due forme par un tribunal légitime, n’est pas une nouveauté et encore moins un fait du passé. Avec les dernières découvertes sur l’ADN, on découvre tous ces hommes ( peu de femmes semble-t-il) victimes d’erreurs judiciaires qui sont finalement libérés après avoir été incarcérés toute une vie, certains ayant miraculeusement échappé à leur exécution.
L’un d’entre eux, dont je viens de découvrir l’histoire est celle étonnante de cet ancien boxeur japonais, Hakamada innocent des meurtres qu’on lui avait imputé, incarcéré en 1966, condamné à mort définitivement en 1980 par la cour suprême japonaise, après de nombreux appels, mais finalement libéré en 2013 et reconnu innocent à peine en 2024…
( Il est par ailleurs devenu catholique en prison en 1983, et aujourd’hui souffre de problèmes mentaux, ce qui n’a rien d’étonnant après un séjour de plus de 40 ans dans le couloir de la mort…https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240926-verdict-attendu-pour-un-japonais-de-88-ans-dont-46-pass%C3%A9s-dans-le-couloir-de-la-mort https://www.cath.ch/newsf/japon-petition-pour-demander-la-revision-du-proces-d-un-ancien-boxeur-catholique/)
* * *
Le fait de faire valoir le côté unique et la signification spirituelle ( que je ne conteste pas) du procès de Jésus, nous aveugle souvent sur la dimension ordinaire du drame et sur les limites de toute justice humaine quelle qu’en soit la procédure, impartie par des juges et des procureurs, lesquels sont faillibles et ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Les paroles de Jésus lui-même dans cette perspective sonnent tellement juste face à la condamnation à mort de la femme adultère (l’homme où était-il) « que celui qui est sans péché, lui jette la première pierre »
Ce qui est dommage est que ce Jésus désincarné sur lequel beaucoup s’attendrissent pendant la semaine sainte, les empêche de voir que les lois sécuritaires qu’ils soutiennent ou qu’ils préconisent auraient justement permis la condamnation du Jésus innocent qui lui a bien existé en chair et en os.
Ceux et elles qui se se scandalisent tellement sur les agissements d’un Pilate, d’un Hérode, d’un Sanhédrin et d’une foule hostile, applaudissent bien souvent d’autre part, des mesures contraires aux valeurs représentées par Celui dont ils disent commémorer la Passion.
Si au moins en France, à part quelques hurluberlus médiatiques qui disent défendre la civilisation chrétienne, la plupart des hommes et femmes politiques se gardent bien de mettre en avant leur appartenance chrétienne, outre Atlantique en cette année de la énième ritualisation de la Passion de Jésus, au sein même de la Maison Blanche, on la brandit comme un cri de guerre contre ceux qu’on devrait protéger en leur coupant les vivres, en les enfermant et en les déportant.
En réalité Jésus pour beaucoup d’entre eux n’est qu’une idole désincarnée qui pour les uns, habite dans un tabernacle de pierre que l’on sort le dimanche pendant un moment de recueillement mais que l’on range soigneusement après, l’enfermant à double tour, jusqu’au dimanche suivant…et pour d’autres, le dieu d’un texte ancien dont on défend bec et ongle la littéralité mais dont l’existence se réduit à une dévotion intérieure déconnectée du monde environnant… Un tel Jésus ne saurait bien entendu être dérangeant… mais pourrait-on dire que cet être désincarné est encore vivant ?
* * *
Nous voilà donc, de nouveau face à la commémoration de celui qui très justement se donnait le beau titre de « fils de l’homme » et qui est exactement cela : sa mise à mort cruelle et humiliante transformée en spectacle public pour inspirer la peur du châtiment à tous les passants, en fait la figure emblématique de la condition humaine où un mal intrinsèque s’empare des puissants pour en faire des bourreaux acharnés contre les êtres démunis et sans défense .
Incarnation, c’est le mot qu’on utilise avec raison pour décrire la condition de Jésus
Un Jésus liturgique et désincarné ne servirait à rien
Par contre le Jésus incarné, condamné à mort par un tribunal humain, présent à côté des victimes, lui, il peut sauver l’humanité !