le 24 juin 2024, Auvergne
Jean 5 : 19-30
Jésus reprit donc la parole. Il leur déclarait : « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement.
Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement.
Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut.
Car le Père ne juge personne : il a donné au Fils tout pouvoir pour juger,
afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père. Celui qui ne rend pas honneur au Fils ne rend pas non plus honneur au Père, qui l’a envoyé.
Amen, amen, je vous le dis : qui écoute ma parole et croit en Celui qui m’a envoyé, obtient la vie éternelle et il échappe au jugement, car déjà il passe de la mort à la vie.
Amen, amen, je vous le dis : l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront.
Comme le Père, en effet, a la vie en lui-même, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir, lui aussi, la vie en lui-même ;
et il lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme.
Ne soyez pas étonnés ; l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix ;
alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés.
Moi, je ne peux rien faire de moi-même ; je rends mon jugement d’après ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas à faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.
Intro
Me voilà donc confrontée à ce texte majeur , où Jésus parle de sa relation avec Dieu et d’essayer de le décortiquer, consciente bien entendu, que je ne pourrais pas l’appréhender, juste tourner autour. Pourtant, étant donné que ce texte a conduit à un moment donné au fameux dogme trinitaire qui a fait couler tant d’encre, je ne peux pas, ne pas le regarder en face, et faire comme si il n’existait pas.
Mais il m’est difficile de le lire, en faisant fi de ce dogme, que ce soit pour le justifier ou le récuser, car que je le veuille ou non affleurent à mon esprit toutes les polémiques qu’il a suscité. Je vais quand même essayer de le faire : après tout je cherche avant tout à être honnête avec moi-même. C’est l’avantage d’écrire un blog que personne ne lit ( ou pas grand monde) et de ne pas publier un article dans une revue où il faut se positionner par rapport à leur ligne éditoriale.
* * *
Père et Fils
Jésus reprit donc la parole. Il leur déclarait : « Amen, amen, je vous le dis : le Fils ne peut rien faire de lui-même, il fait seulement ce qu’il voit faire par le Père ; ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement.
Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement.
Ce que Jésus affirme ici, c’est d’abord « qu’il ne peut rien faire de lui-même » : c’est très fort ce qu’il dit là… dans cette phrase il ne se met aucunement au-dessus de Dieu, il ne s’attribue aucune prééminence, (il n’est pas en concurrence avec lui … Dieu est premier, car il est le Père et lui, son Fils, ne peut exister sans lui, c’est pourquoi il lui est totalement soumis. )
La question de l’égalité avec le Père n’est pas du tout évoquée : ce n’est pas une catégorie qu’il cherche à analyser ou à démontrer… la question n’est pas là.. le raisonnement qu’il présente est pour répondre à une polémique sous-jacente, celle de savoir si oui ou non, il a été envoyé par Dieu ce que certains des religieux contemporains niaient. C’est en ces termes que la question se posait..
ce que fait celui-ci, le Fils le fait pareillement.
C’est dans le « faire » que Jésus est égal à Dieu mais seulement parce- qu’il a appris à agir en le voyant…
Car le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu’il fait. Il lui montrera des œuvres plus grandes encore, si bien que vous serez dans l’étonnement.
Cette déclaration est pour le moins étonnante ( Jésus nous prévient lui-même que nous serons dans l’étonnement ! ) ou en tout cas inattendue, car elle est présentée comme une vérité fondamentale, sans explication aucune…
Dans l’Ancien testament, on voit de temps en temps, des termes de « fils de Dieu » utilisés pour désigner Israël et aussi ses rois accompagnés d’une exigence de soumission totale ( comme ici d’ailleurs)
Il faut souligner qu’il n’y a jamais de suggestion, comme dans les mythologies despeuples avoisinants, qu’elle est acquise par une relation charnelle où les dieux auraient des enfants engendrés par des relations sexuelles avec une femme : il est important de le dire car c’est ce qui fait grincer des dents certains musulmans quand les chrétiens utilisent ce terme pour désigner Jésus.
Cette affirmation de l’amour du Père pour le fils est présentée ici comme une évidence (que j’ai du mal à saisir car le mot amour est pour moi du domaine de l’émotion ) dont la caractéristique est le partage total de la part de Dieu de ses connaissances avec le fils . C’est bien une figure de père humain qui est utilisée, celle qui est familière à ceux qui l’entourent où le père transmet tout son savoir à son fils sur le métier qu’il pratique pour que le fils prenne la suite de ses affaires ( ça existe encore aujourd’hui).
Le paradoxe
Comme le Père, en effet, relève les morts et les fait vivre, ainsi le Fils, lui aussi, fait vivre qui il veut
Ce que Jésus en tire comme conséquence est à la fois logique et étonnant (on aurait envie de dire gonflé) certainement provocateur, qui susciterai naturellement une réaction : affirmer que l’on peut relever les morts et donner la vie va très loin : guérir oui, c’est du possible et presque du normal pour un homme religieux mais donner la vie « comme bon lui semble » ça c’est un attribut de Die…. mais qui lui estdonné par Dieu. C’est là tout le paradoxe
et il lui a donné pouvoir d’exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme.
Jésus, parle de lui-même à la troisième personne et s’identifie maintenant comme fils de l’homme : tout d’abord il a attribué son pouvoir de donner la vie par l’amour du Père, il affirme maintenant que son droit à juger vient du fait qu’il est le fils de l’homme soit le représentatif du genre humain ?
On va de surprise en surprise, comme un espèce de crescendo dans les attributs que Jésus dit qu’ils lui sont donnés: il persiste et signe en ajoutant donc un autre attribut divin celui du jugement et pas n’importe quel jugement, le jugement dernier !
Ne soyez pas étonnés (effectivement, il y a de quoi être étonné) ; l’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix ;
alors, ceux qui ont fait le bien sortiront pour ressusciter et vivre, ceux qui ont fait le mal, pour ressusciter et être jugés.
Et finalement, Jésus revient à cet autre pilier de son raisonnement qui est sa dépendance totale du Père, sans qui il ne peut rien faire, une dépendance qui est caractérisée comme soumission totale à sa volonté de ce Père comme si il avait peur qu’on le méprenne quand il parle des pouvoirs extraordinaires et voient en lui un rival de Dieu ?
( il faut se souvenir que dans la tradition, Satan/Lucifer/ le démon/ a été déchu car il a voulu justement être l’égal de Dieu, ou plutôt son rival)
Moi, je ne peux rien faire de moi-même ; je rends mon jugement d’après ce que j’entends, et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas à faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé
La capacité de Jésus à juger ne lui est pas propre : son origine n’est pas en lui. Pourtant cette soumission n’apparaît pas du tout suspecte, car elle ne découle pas de la tyrannie d’un Père qui serait abusif, comme ça peut être le cas dans l’expérience humaine : il a bien précisé que c’est par amour que le Père partage avec le fils : ni rival, ni esclave non plus.
( Il faut me semble-t-il clarifier cela car la figure humaine du père est bien souvent caractérisée par l’abus du pouvoir sur ses enfants : on sait que le Pater familias, dans le droit romain avait droit de vie et de mort sur eux mais aujourd’hui encore, bien des fils ( et des filles aussi ) ont fait l’expérience de traumatismes profonds dus aux attentes et à l’exigence de soumission de pères tyranniques. C’est d’ailleurs ce qui rend cette image du père difficile pour certains. )
Ce que j’en retiens,
Impossible de faire entrer tout ce que Jésus y dit dans des schémas de pensées qui satisfassent notre besoin de tout réduire à des propositions simples. Ce qu’il dit semble tellement paradoxal: pouvoirs divins illimités d’un côté , dépendance totale de l’autre… Pas étonnant que les philosophes et les théologiens aient passé des siècles à débattre de ce texte et continuent encore à le faire!
Ce qui me frappe c’est que Jésus présente son identité en termes relationnels, compréhensibles pour son audience en utilisant l’image de la relation filiale. Il met en valeur les liens privilégiées et de réciprocité qu’il a avec le « Père, » un être tellement au-dessus de tout qu’il est indéfinissable, innommable et de plus interdit de toute représentation visuelle dans la tradition juive. Face à cette réalité, Jésus qui existe en chair et en os et se tient devant eux, cherche avant tout à affirmer son droit et sa légitimité à le représenter et à agir en son nom. Mais ce qui est étonnant et scandalisant, c’est qu’il le fasse d’une manière aussi totale et complète : aucun autre prophète n’était jamais allé aussi loin.
Quelque soit les conclusions que l’on puisse en tirer sur l’identité de Jésus, en ce qui me concerne, j’y vois une vérité fondamentale : que lui et lui seul peut nous dire et nous montrer qui est vraiment Dieu, quelle est sa volonté, quels sont ses commandements car il est le « Fils »au sens plein du terme.
Croire en Jésus-Christ, c’est croire en cette coïncidence totale entre le messager et celui qui l’envoie, entre l’envoyeur et l’envoyé
C’est lui et lui seul qui a les clefs de l’interprétation de cette révélation divine qu’est la Torah dont se revendique, le peuple juif, et plus particulièrement en son sein, ses scribes,ses pharisiens et ses rabbins…
Épilogue
Par les temps qui courent avec cette guerre horrible qui continue de se dérouler entre Israël et le Hamas, d’aucuns voudraient justifier le droit de tuer toute une population au nom d’une interprétation des textes de la Torah (interprétation récusée par certains exégètes juifs d’ailleurs). Heureusement que les déclarations radicales de Jésus sur le sujet des ennemis, coupent court à toute velléité de justification d’actes belliqueux, même si personne n’en tient compte ( chrétiens inclus)
« Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. »
On ne peut pas être plus clair
Pour aller plus loin : une vision du judaïsme sur l’appellation fils de Dieu dans le psaume 2
(https://www.thetorah.com/article/psalm-2-is-the-messiah-the-son-of-god