Le 1er septembre 2023, Auvergne
Quelle joie et quel soulagement d’en arriver à cet épisode inattendu qu’est la rencontre de Jésus avec la Samaritaine ! Après les déclarations sur l’identité de Jésus de Jean Baptiste qui introduisent la question épineuse de sa divinité, on salue Jean ( je salue Jean) pour avoir inclus dans son évangile cette rencontre fortuite, d’autant plus qu’on ne la trouve que là…
Jean 4 : 1-16
Les pharisiens avaient entendu dire que Jésus faisait plus de disciples que Jean et qu’il en baptisait davantage. Jésus lui-même en eut connaissance.
À vrai dire, ce n’était pas Jésus en personne qui baptisait, mais ses disciples.
Dès lors, il quitta la Judée pour retourner en Galilée.
Or, il lui fallait traverser la Samarie.
Il arrive donc à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
– En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.
La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus en chemin
Les pharisiens avaient entendu dire que Jésus faisait plus de disciples que Jean et qu’il en baptisait davantage. Jésus lui-même en eut connaissance. À vrai dire, ce n’était pas Jésus en personne qui baptisait, mais ses disciples. Dès lors, il quitta la Judée pour retourner en Galilée.
On vient de quitter Jean Baptiste et il faut se rappeler que le changement de chapitre est artificiel… il a été créé très tard … (https://fr.aleteia.org/2016/03/19/qui-a-divise-la-bible-en-chapitres-et-en-versets/) c’est-à-dire au 13 ème siècle… Le texte continue donc sur sa lancée et il est toujours question de la pseudo rivalité entre Jésus et Jean, pseudo, car c’était les disciples de Jean qui se sentaient menacés par la popularité naissante de Jésus. Mais cette popularité naissante, est remarquée aussi par les pharisiens qui font pour la première fois leur apparition : ils ne sont pas encore présentés comme menaçants en tant que tel, même si dans la rencontre avec Nicodème, c’était probablement à eux que Jésus faisait allusion quand il parlait de ceux qui ne croyaient pas en ce qu’il disait.
L’auteur donne un détail qui clarifie ou corrige (?) ce qui a été dit plus haut et qui m’avait étonné à savoir que Jésus baptisait… Pourquoi ce besoin de dire que c’était ses disciples et pas Jésus ? Pour souligner à quel point le baptême de Jésus était différent, ou que le baptême n’était pas au centre de son activité ? Certains exégètes estiment que cette clarification a été ajoutée plus tard pour justement empêcher que Jésus soit vu comme un simple baptiseur quand sa mission était toute autre.
Mais en tout cas, Jésus quitte la région : était-ce parce-qu’il ne voulait pas rester dans un lieu où il devenait trop connu des pharisiens, ou peut-être pour ne pas faire d’ombre à Jean? On nous donne l’information sans en donner la raison même si on peut la supposer…
Les relations compliquées entre Juifs et Samaritains
Or, il lui fallait traverser la Samarie.
Il arrive donc à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
Or, il lui fallait traverser la Samarie.
Beaucoup a été écrit et étudié pour essayer de décortiquer les croyances des Samaritains, leur origine et aussi leur relation avec le peuple juif pour savoir si leur inimitié venait de différences raciales, religieuses ou de conflits passés…
Quoique les opinions diffèrent, ce qui est sûr, est qu’ils n’étaient pas considérés comme des païens ( ils étaient des descendants d’Abraham) ce qui n’empêchait pas qu’ils soient regardés comme un groupe à part, considéré comme inférieur avec lesquels on traitait peu ou prou… Préjugés raciaux, religieux, historiques ou tout à la fois ? Comme c’est le cas aujourd’hui , ce genre d’inimitié entre des peuples voisins où l’on pourrait dire « cousins » est difficile à démêler. Ce qui est certain est que cette rencontre fait état de ces rapports conflictuels.
Il arrive donc à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.
Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
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Autant les récits sur les faits et gestes de Jésus ne semblent donner de l’importance à leur déroulement chronologique, autant ils sont précis dans leur description des lieux où se déroulent les événements : c’est plus un gage de leur authenticité de donner des lieux qui eux ne bougent pas qu’une indication de temps qui elle est fluctuante sauf comme ici où l’heure de la rencontre est précisé pour expliquer les circonstances toutes naturelles de la rencontre… Jésus redevient cet homme normal qui a soif et qui est fatigué à une heure où il fait chaud et où l’on se restaure…d’ailleurs ce qui suit indique que les disciples étaient absents car ils étaient aller chercher de quoi manger
La rencontre
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. »
En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions. La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
La précision qui nous est donnée de l’absence des disciples, montre qu’en d’autres circonstances Jésus fatigué aurait fait appel à eux s’il avait eu soif s’étant retrouvé près d’un puits …et évidemment, la réaction de la femme a de quoi nous interpeller… parce-qu’elle ne s’exécute pas automatiquement ce qu’on pourrait espérer d’autres femmes qui naturellement serviraient un homme qui lui demanderait à boire sans même se poser de question…
Si on y pense, ce qu’il y a d’étonnant aussi c’est qu’elle se soit rendu compte tout de suite que Jésus était juif…comment se fait-il ? Le texte ne le dit pas. Était-ce par sa manière de parler, son accent, son choix de vocabulaire, …était-ce par ses vêtements ou la couleur de sa peau, la forme de sa barbe ? Qui sait ? Mais comme tout le monde aujourd’hui, elle a su à quel groupe il appartenait dès le début, preuve que quelque soit la société à la quelle on appartient, il y a toujours une classe dominante qui crée des catégories d’indésirables mais aussi que ceux qui appartiennent à ce groupe décrié savent très bien qu’ils sont l’objet de préjugés, même si le groupe dominant ne veut pas le reconnaître…
Comme le passage écrit est adressé à des personnes qui n’étaient pas toutes juives, l’auteur donc est obligé de nous expliquer les propos de la femme, sinon, on ne comprendrait pas…
L’autre aspect de la réaction de cette femme, montre son tempérament : elle n’avait pas froid aux yeux, elle le défie, ce qui est étonnant car non seulement c’était un homme mais en plus il appartenait à une classe qui se considérait supérieure…
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
La réponse de Jésus est toute aussi étonnante car elle est en quelque sorte décalée… il évite le piège de s’engager sur le terrain sur lequel elle l’interpelle, il n’entre pas dans un discours identitaire sur qui est mieux que qui, essayant soit d’affirmer la supériorité des juifs, soit de se défendre d’avoir de tels préjugés, Il se place à un autre niveau, il botte en touche on pourrait même dire, en se définissant par une autre identité que celle limitée par les préjugés, obstacle aux relations humaines…il refuse d’être enfermé dans le carcan du « mâle juif dominateur »…
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ?
Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Elle accepte tout de suite de le suivre sur ce nouveau terrain sur lequel il la guide… et elle démontre sa connaissance de l’histoire de son peuple : ce savoir la rend encore plus surprenante car il va à l’ encontre de tout ce que l’ on croit connaître d’une femme et de la condition féminine à son époque. On pourrait dire qu’elle a reçu une éducation religieuse mais évidemment, le terme ne sied pas vraiment la situation car son identité en tant que Samaritaine ne faisait pas de différence entre identité religieuse et identité ethnique.
De plus , elle continue à défier Jésus en lui demandant de révéler qui il est car elle a très bien compris qu’il faisait allusion à quelque chose d’autre que la simple eau d’un puits… le langage qu’il utilise lui est familier
Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ;
mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La beauté et la profondeur de ce que Jésus dit ici se passe de commentaire ou d’explications. La métaphore de l’eau vive utilisée est d’autant plus compréhensible dans un milieu où l’eau manquait d’eau et où il ne suffisait pas d’ouvrir un robinet pour avoir de l’eau potable… mais elle reprend aussi tout son pouvoir d’évocation à l’heure d’aujourd’hui où la sécheresse devient une réalité alarmante dans nos pays. C’est une promesse extraordinaire que fait Jésus… et qui va susciter la réponse enthousiaste de la Samaritaine…
La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
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L’échange n’est pas fini, mais je m’arrête là car il y a beaucoup déjà à se mettre sous la dent… et la révélation de Jésus des 5 maris de cette Samaritaine qui vient après, a tellement retenu l’attention des exégètes et commentateurs qu’elle détourne l’attention de cette rencontre et de ce dialogue surprenant autour du puits.
( Ayant eu le privilège de travailler avec des peuples nomades, j’ai entendu parlé très souvent de l’importance de ces moments autour des puits … )
Ce que j’en retiens…
D’abord, cet étonnant paradoxe d’un Jésus profondément humain et j’ai envie de dire normal, un Jésus fatigué et assoiffé qui demande de l’eau mais qui tout de suite après, promet de donner une eau miraculeuse qui ne tarira jamais et conduira à la vie éternelle.
Ensuite, je ne peux pas aussi m’empêcher d’être stupéfaite par son attitude envers les femmes dans ce dialogue tellement différent de ce que l’on pourrait attendre d’un homme juif de son époque appartenant à une société patriarcale surtout quand on pense aux directives et aux conseils donnés par les apôtres par la suite, aux femmes nouvellement converties.
La Samaritaine quelque soit les critères qu’on puisse utiliser, va à l’encontre de l’image féminine prônée dans de nombreuses cultures: une femme bien, est une femme qui fait ce que lui demande un homme, elle ne le questionne pas, elle ne lui demande pas de rendre des comptes, elle baisse les yeux quand on lui parle … modèle qui a continué à prévaloir dans la civilisation chrétienne en promouvant une Marie, mère de Jésus, femme silencieuse, douce, qui n’élève pas la voix, qui reste dans l’ombre, qui souffre en silence …et qui ne défie surtout pas Jésus…(sauf pour cette scène inattendue des noces de Cana)
La Samaritaine, elle , contrastant avec tous ces modèles, apparaît effrontée, insolente…
Et pourtant, Jésus ne le lui reproche pas, il ne semble pas perturbé par son questionnement, par son défi : il ne se sent pas menacé par elle, à aucun moment il ne la fait taire ni use de son statut pour l’obliger à lui donner de l’eau, à aucun moment il ne la remet à sa place, il ne la sermonne parce-qu’elle ne se comporte pas comme une femme passive et soumise…
Étonnant !
Mais pour autant, il ne la laisse pas l’emprisonner lui non plus dans ce carcan de mâle juif dominateur, qui l’empêcherait de proclamer la bonne nouvelle qu’il a à lui apporter: il l’oblige à laisser de côté ses préjugés, elle qui a toutes les raisons de se méfier de lui… parce-qu’il est homme et qu’il est son ennemi…
Finalement…
Il y a là une belle leçon à apprendre et un beau message d’espérance, à une époque où les rapports hommes et femmes ( rapports de genres on dirait aujourd’hui) font l’objet de nombreuses polémiques, ou ceux aussi de dominateurs et dominés sur fond de racisme, font encore plus débat : Jésus nous montre qu’un vrai dialogue est possible entre personnes que tout divise ….
À émuler !
(Pas si facile que ça !)
Pour aller plus loin : article sur la question des rapports entre les Samaritains et les Juifs du temps de Jésus : Meier, J. P. (2000). The Historical Jesus and the Historical Samaritans: What can be Said? Biblica, 81(2), 202–232. http://www.jstor.org/stable/42614262