le 9 février 2023, USA,
On est en 2023 ! Entre les fêtes et le COVID…pas de temps de continuer à réfléchir sur ces lignes…mais en même temps, ça reflète ce qui s’est probablement passé pour la rédaction des évangiles : ils n’ont certainement pas été écrits tout d’une traite. Des bribes ont été écrites ici et là, avec de nombreuses interruptions, maladie peut-être, persécution certainement, déplacements pour prendre la fuite, ou au contraire pour aller rendre visite à des nouveaux convertis… et que sais-je encore, on peut tout imaginer, pour l’histoire de ces bouts de parchemins, confiés en catastrophe par l’un ou l’autre, retrouvés après la mort de leurs rédacteurs….Tellement d’hypothèses possibles que l’on ne pourra jamais corroborer mais qui font l’objet d’études d’érudits enthousiastes et imaginatifs…
En tout cas, nouvelle surprise de cet évangile, après l’histoire de Cana qui n’est rapportée nulle part ailleurs, on se retrouve devant un épisode que l’on connaît bien mais qui apparaît au début de la vie publique de Jésus et pas juste avant sa condamnation à mort comme dans les autres évangiles.
Jean 2 : 12-17
Après cela, il descendit à Capernaüm, avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n’y demeurèrent que peu de jours.
La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem.
Il trouva dans le temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis.
Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les boeufs; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables;
et il dit aux vendeurs de pigeons: Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit: Le zèle de ta maison me dévore.
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Après cela, il descendit à Capernaüm, avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n’y demeurèrent que peu de jours.
La Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta à Jérusalem.
Comme il vient d’être mentionné que Jésus était avec sa mère et ses disciples au repas de mariage à Cana, on les retrouve tout naturellement ensemble dans une ville proche , où certains pensent que vivaient des membres de la famille de Marie. Restèrent-ils là pour se reposer avant le voyage à Jérusalem qui prendrait, étant donné les distances ( 128 km) plusieurs jours ?
Toujours est-il que contrairement aux autres évangiles où l’unique fois qu’on parle de la Pâque c’est juste avant que Jésus soit arrêté et crucifié, ici, cette fête est mentionnée alors qu’on est au début du récit. A priori, comme les juifs célébraient la Pâque tous les ans, il ne serait pas anormal qu’on en parle plus d’une fois mais ce qui est surprenant, c’est que l’épisode qui y est raconté est semblable à celui relaté dans l’évangile de Marc à la fin.(Marc 11 : 15-17)
(Évidemment, cela a fait l’objet d’énormément de discussions et d’hypothèses : historiquement parlant quand cet épisode s’est-il vraiment passé ? Est-ce Jean qui a raison de le mettre au début ou Marc de le mettre à la fin ? Il est bon de toujours se rappeler, que la chronologie « exacte » du déroulement des faits et gestes de Jésus n’était pas une priorité pour ceux qui les ont rapportés et écrits mais c’est plutôt une obsession contemporaine de gens comme nous qui ont accès à une technologie moderne qui permet d’enregistrer discours et paroles et de les retransmettre tels quels, avec la date, le lieu et même l’heure )
Il trouva dans le temple les vendeurs de boeufs, de brebis et de pigeons, et les changeurs assis.
Ayant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, ainsi que les brebis et les boeufs; il dispersa la monnaie des changeurs, et renversa les tables;
et il dit aux vendeurs de pigeons: Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit: Le zèle de ta maison me dévore.
On arrive directement au temple : aucun contexte n’est donné aucune explication, les agissements de Jésus arrivent sans crier gare. On ne l’a pas encore entendu prêcher ni guérir des malades ni chasser les démons : on ne l’a pas vu non plus entrer dans des polémiques doctrinales sur la loi et les prophètes avec les pharisiens, les scribes ou les hautes autorités religieuses. Cet accès de colère est complètement inattendu…mais il n’est pas gratuit pour Jésus qui le justifie :
Il dit aux vendeurs de pigeons: Otez cela d’ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic.
La raison en est très simple : on a profané un lieu sacré en y faisant des transactions douteuses. Ce qui est notable c’est que Jésus parle de ce lieu comme la « maison de mon Père » et revendique ainsi son identité de fils. C’est la première fois qu’il le fait : il avait été appelé fils de Dieu dans le prologue du texte et de nouveau identifié comme tel par Jean, mais aussi par Nathanaël. On ne devrait donc pas être surpris de le voir parler ainsi, sauf qu’il ne le fait pas dans le cadre d’une déclaration où il déclinerait son identité, mais d’une manière presque naturelle, qui irait de soi. Ce qui est mis en valeur est sa relation avec Dieu qu’il appelle père ( sans se dire fils) et témoigne d’une relation intime, privilégiée et….passionnelle.
L’étonnement des disciples devant ses agissements n’est pas notée en tant que telle mais sous entendue dans la manière où il est fait référence à un texte de l’ancien testament pour arriver à justifier après coup les actes de Jésus . On a souvent cité le psaume 69 comme étant à l’origine de cette allusion mais d’autres textes qui expriment le même genre de sentiments pourraient l’être aussi.
« Je suis devenu un étranger pour mes frères, Un inconnu pour les fils de ma mère. Car le zèle de ta maison me dévore, Et les outrages de ceux qui t’insultent tombent sur moi. Je verse des larmes et je jeûne, Et c’est ce qui m’attire l’opprobre
Ce qui est mis en relief ici est le côté prophétique de Jésus, son « zèle » , qui apparaît tout à fait dans la lignée des prophètes du judaïsme, et dans celle plus immédiate d’un Jean le Baptiste dont on vient longuement de parler, et dont le rôle est de dénoncer les fautes de ses contemporains pour qu’ils reviennent à une foi plus sincère plus réelle, plus pure…
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Cet épisode a fait couler beaucoup d’encre car un Jésus qui se met en colère et chasse violemment des gens du temple, ça ne cadre pas avec l’image du Jésus tolérant, bienveillant et insipide qui ne dérange personne. D’un autre côté, cet épisode est régulièrement utilisé par de nombreux amateurs exégètes pour peindre un Jésus qui ne condamnerait pas la violence leur permettant de justifier leur propre violence au nom de la foi chrétienne ou de toute autre cause qui les concerne.
Ce qu’on peut dire en tout cas c’est que ses disciples n’ont jamais vu dans cet épisode une justification de quelque acte violent que ce soit : les épîtres sont claires là-dessus et font écho aux enseignements du message d’amour et de pardon de Jésus et aucun des disciples n’a recouru aux armes pour se défendre ou pour propager la foi en Jésus ( beaucoup sont morts martyres) et personne ne l’a fait pendant au moins les deux premiers siècles. Malheureusement ça viendra après, et cette histoire-là on la connaît tous ! Mais historiquement parlant , on ne peut donc en aucun cas interpréter cet épisode dans le sens d’un appel aux armes ou d’une justification quelconque de la violence.
( c’est affolant de faire un tour sur la toile et de voir la myriade d’articles quand on pose la question Jésus était-il violent, qui répondent en cherchant à prouver que le message de Jésus n’est pas un message de non violence…)
Pour moi cet épisode, cité ici au début, met en valeur un aspect du caractère de Jésus qu’on a tendance à oublier et qui est souvent noyé dans le reste du récit : sa véhémence de prophète, son indignation de Juste qui dénonce avec virulence tout ce qui salit l’image de Dieu, un Dieu qu’il appelle Père. Son geste d’humeur dénonce une bonne fois pour toutes, ( on aurait souhaité) cette alliance infâme entre l’argent et la religion. Car on le sait très bien encore aujourd’hui, tout est bon pour tirer profit de la ferveur des croyants qui veulent s’acquitter de leurs obligations : les lieux de pèlerinage, les abords des églises, synagogues, (mosquées, temples hindous et autres) grouillent de marchands qui sont prêts à profiter de cette manne que sont tous ces fidèles.
L’instrumentalisation du religieux pour faire des gains illicites est bien connu et encore plus répandue que jamais avec la prolifération des sites internets qui font des appels aux dons ou facilite l’achat « d’eau bénite » aux propriétés curatives , garantie d’origine…( Il y eut une époque où c’était la vente des reliques qui faisait fureur…et on se trucidait même pour les obtenir)
La colère de Jésus est bienvenue et dénonce sans ambages tous les trafics possibles et imaginables autour de lieux saints qui prolifèrent encore aujourd’hui…. Mais on préfère regarder ailleurs et se perdre dans de vaines polémiques….
Pour aller plus loin : Murphy-O’Connor, J. (2000). JESUS AND THE MONEY CHANGERS (MARK 11:15-17; JOHN 2:13-17). Revue Biblique (1946-), 107(1), 42–55. http://www.jstor.org/stable/44089472. Le texte est en anglais mais voilà le synopsis en français :
L’intervention de Jésus contre les changeurs s’inspirait du programme de Jean-Baptiste : une réforme religieuse urgente et radicale, parce que la fréquence et la nature monétaire de la taxe du temple constituait une grave offense pour certains Juifs observants. Les paroles prononcées au temple, si elles sont authentiques, datent de bien plus tard quand la perception qu’eut Jésus de son rôle dans l’accomplissement du plan de salut se fut modifiée.