Un Jésus festif ou fêtard?

le 17 décembre 2022, Virginie

Suite et fin de l’histoire,

Jean: 2 6-11

La première partie de l’épisode de cette fameuse histoire des noces de Cana, était surtout centrée sur l’interaction entre Jésus et sa mère et tout ce que ça pouvait susciter comme commentaire sur leurs relations, considérant l’après de l’écriture de ce texte, à savoir le développement de la théologie mariale ou au contraire pas mariale du tout… Personnellement, je l’ai lu en tant que mère qui a des fils adultes… ce qui m’a rendu la scène compréhensible et l’échange très vivant, même si j’appartiens à une autre époque et à une autre culture.

La suite de l’histoire, qui raconte le « miracle » a suscité des commentaires et des réactions d’un autre type : d’abord comme toujours pour tous les miracles parce-qu’ils gênent certains de nos contemporains,  l’historicité de l’événement a été remise en cause … et ensuite peut être à cause de la nature même du miracle, c’est la signification symbolique et théologique de cette eau transformée en vin qui a retenu l’attention  à tel point qu’on a l’impresssion qu’il s’agit d’une parabole plutôt que d’un compte rendu factuel.

‘Pour ma part, il est décevant de voir que trop souvent, on ne s’intéresse pas au récit lui-même et peu de commentaires ( il y en a quand même quelques uns) réagissent au texte dans son sens premier d’une description d’un événement particulier celui d’eau transformée en vin à un mariage où Jésus , sa mère et les disciples de ce dernier étaient conviés…

Voilà donc le texte

Or, il y avait là six vases de pierre, destinés aux purifications des Juifs, et contenant chacun deux ou trois mesures.

Jésus leur dit: Remplissez d’eau ces vases. Et ils les remplirent jusqu’au bord.

Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’ordonnateur du repas. Et ils en portèrent.

Quand l’ordonnateur du repas eut goûté l’eau changée en vin, -ne sachant d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l’eau, le savaient bien, -il appela l’époux,

et lui dit: Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent.

 Tel fut, à Cana en Galilée, le premier des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

*   *   *

Or, il y avait là six vases de pierre, destinés aux purifications des Juifs, et contenant chacun deux ou trois mesures.

Malgré le refus de Jésus à la requête de sa mère, celle-ci ne se formalise pas et met son fils au pied du mur : Que va donc faire le fils face à cet ultimatum ? (Sa mère dit aux serviteurs: Faites ce qu’il vous dira).

Le texte tout d’abord à la fois explique et décrit avec précision le lieu et les objets en question, et semble-t-il, s’adresse à des personnes qui ne seraient pas juives et ne sauraient pas qu’ils pratiquent des ablutions pour se purifier avant de manger…( comme les musulmans d’ailleurs mais pas au même moment)

 Jésus leur dit: Remplissez d’eau ces vases. Et ils les remplirent jusqu’au bord.

Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’ordonnateur du repas. Et ils en portèrent.

On nous rapporte donc ce que Jésus dit aux serviteurs et l’ordre qu’il leur donne nous informe que finalement, lui qui avait refusé auparavant, accepte maintenant d’intervenir mais pas d’explication ni de commentaire de pourquoi il aurait changé d’avis.  La seule hypothèse est donc qu’il a décidé de répondre à la demande de  sa mère et son rôle d’intercesseure auprès de son fils est apparent ici quelles que soient les conclusions que l’on veuille en tirer.

Ce qu’il y a aussi de particulier est que Jésus ne prononce pas de bénédiction,  ni ne lève pas les yeux au ciel comme il est noté, par exemple dans le récit de la multiplication des pains. Rien de tout cela ici : il donne un ordre comme si de rien n’était, comme si… il n’était pas en train de faire quelquechose hors de l’ordinaire, comme un miracle,par exemple! Il est extremement discret et ne cherche pas à attirer l’attention sur sa personne.

Quand l’ordonnateur du repas eut goûté l’eau changée en vin, -ne sachant d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l’eau, le savaient bien, -il appela l’époux, et lui dit: Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent.

Le récit continue  et c’est au goût de cette eau, que l’on découvre qu’il y a eu miracle. L’auteur insiste sur la véracité du récit en nous rapportant la réaction de l’ordonnateur qui s’adresse à l’époux (montrant bien que la question du vin était bien du ressort de l’homme!)

Finalement vient la conclusion de cet épisode

Tel fut, à Cana en Galilée, le premier des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Le premier miracle ? C’est cela qui est étonnant car dans les autres évangiles, ce n’est pas le premier miracle que Jésus fait, ce sont des guérisons ou des expulsions de démons, et cet épisode particulier n’est raconté dans aucun d’entre eux, à cause du fait qu’il ait été écrit plus tard…ou que seulement un proche de Jésus ne pouvait le connaître?  En tout cas, les disciples qui étaient présents et qui venaient juste de commencer à le suivre, ont été impressionné par ce miracle et ont reconnu la  singularité ou la “gloire” de celui qu’ils avaient choisi comme maître.

* * *

Ce qui m’intrigue dans cette histoire est pourquoi ce fait n’est pas relaté dans les autres évangiles…question qui ne peut pas être résolue mais il est tout aussi surprenant qu’elle soit relatée dans cet évangile car changer de l’eau en vin à un mariage, a priori ne colle pas avec un texte qui parle de Jésus en des termes cosmiques à ses débuts  et à propos duquel l’auteur remarque simplement que cet événement, signe ou miracle a scellé la foi des disciples en lui .

Je vais donc le prendre argent comptant car ainsi il casse tous les moules dans lesquels on essaie de le mettre. On voit un Jésus réticent à faire des miracles, et pas désireux du tout de montrer son pouvoir, satisfait semble-t-il de vivre dans l’anonymat, mal à l’aise qu’on le pousse sur le devant de la scène et finalement acceptant d’intervenir, pour faire plaisir à sa mère ou pour tirer d’embarras une famille qui lui était proche ou quoi encore ?

Un vrai contraste avec le Jésus présenté par Marc ( pourtant bien humain) où il part en mission dès le début du récit mais dont les premiers actes sont des guérisons et des expulsions de démons, ce qui le situe bien dans la lignée des prophètes qui se sont distingués dans ce domaine ( plutôt d’ailleurs les guérisons que les expulsions de démons) ce qui donc ne surprenait personne .

Mais un Jésus festif et fêtard ?

Pas vraiment, (on ne le voit ni boire ni danser), mais un Jésus bien présent au milieu des siens, dans un événement majeur de la vie sociale que peut être un mariage dont le miracle qu’on pourrait considérer futile d’une certaine manière, contraste avec un Jean Baptiste mentionné plus haut qui ne buvait pas d’alcool et se nourrissait de sauterelles. On ne trouve pas d’antécédent dans le judaïsme d’un tel miracle. Pas étonnant donc, qu’il ait fallu donner à cet épisode un sens symbolique, en y voyant souvent, l’annonce de la vie nouvelle représentée par cette eau transformée en vin  Le laisser tel quel aurait été vraiment gênant.

Bref, même un évangile, qui est abondamment cité pour étayer tous les dogmes élaborés par la suite de l’église chrétienne nous présente un Jésus d’une humanité étonnante et toujours aussi énigmatique mais certainement bien sympathique!

Malgré tous nos efforts de raisonnements et toutes nos supputations pénétrantes et subtiles, le mystère Jésus reste tout entier.

Tant pis ou tant mieux pour nous!

Pour aller plus loin : Dillon, R. J. (1962). WISDOM TRADITION AND SACRAMENTAL RETROSPECT IN THE CANA ACCOUNT (Jn 2,1-11). The Catholic Biblical Quarterly, 24(3), 268–296. http://www.jstor.org/stable/43711210. L’auteur cite de nombreux ouvrages en français qui malheureusement ne sont pas accessibles en ligne…

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